28.12.08

La réforme de la régulation financière

Dans notre billet du 15 novembre (Qu’entend-on par excès de régulation ?) nous avions déjà exprimé une légère irritation devant l’attitude du monde de la banque envers cette question. Six semaines après la situation est la suivante :
- du coté des banquiers on nous dit qu’il faut que la réforme assure le développement futur des activités financières, après nous avoir demandé de reconnaître l’utilité sociale d’un système financier qui a permis a des millions de pauvres d’accéder à la propriété de leur logement ;
- du coté des Américains on constate une immense levée de boucliers contre la finance en général et la new-yorkaise en particulier, ses pratiques, ses comportement, sa collusion avec le pouvoir et les institutions chargées de la régulation.

Faut-il assurer le développement futur des activités financières ?
Quelle est l’utilité économique des activités financières consistant à inventer des objets financiers utiles seulement au monde financier ? Et si on répond à cela que tout métier a besoin de nouveaux outils, ce qui est vrai, aucun métier ne prétend faire courir au monde un risque de crise économique en testant un nouveau tournevis. Pratiquement, il va falloir démontrer que l’affirmation de P. Krugman[1]
« Récemment, le secteur financier a représenté 8% du PIB de l’Amérique, en augmentation par rapport aux 5% la génération précédente. Si ce supplément de 3% fut jeté par les fenêtres, et probablement il le fut, nous parlons d’environ 800 milliards de dollars par année de gâchis, fraudes et abus. »
n’est pas toujours vraie, et que les innovations financières peuvent avoir un effet bénéfique sur l’économie normale, et pas seulement sur l’économie financière, et cela sans pratiquer les fraudes, abus et autres gâchis qui lui sont reprochés.

Les bienfaits de l’accession des plus pauvres à la propriété[2]
Selon le témoignage du G.A.O. devant le Sénat américain le 4 décembre 2008[3], l’entrée dans les procédures de défaut de payement et de vente forcée des logements est passée de 150000 au second trimestre 2005 à 500000 au même trimestre de 2008, avec la perspective d’augmenter fortement dans les deux prochaines années. De même, les dossiers de surendettement ont très fortement augmenté durant cette période, sans que l’offensive de la Finance soit parvenue à les contenir, si on lui fait la grâce de supposer qu’elle aurait pu en avoir l’intention.

Que peut-on attendre sérieusement d’une réforme de la régulation ?
La régulation est indispensable aux professionnels honnêtes travaillant dans un système complexe. Elle existe, se perfectionne continuellement, et doit continuer de le faire. Elle n’a causé la crise, ni par les règles existantes, ni par l’absence de celles qu’il lui faut encore concevoir pour répondre à tous les besoins. La crise a été causée par des hommes au moyen d’une idéologie (la dérégulation) exploitée avec une indiscutable perversité en confiant les principales fonctions d’une régulation nationale à ses adversaires. La régulation étant sans pouvoir sur le choix des hommes, on ne pouvait en attendre la prévention de la crise actuelle.
Sur un plan différent, mais dans le même ordre d’idée, les agences de notation produisent, bien ou mal, des notes ; l’usage qui en est fait ne dépend de l’agence que si elle est complice d’une intention, ce qui ne peut être généralisé mais a évidemment été le cas dans la titrisation ; là aussi le problème n’est ni l’agence, ni la note, mais les hommes qui s’en servent, ou qui acceptent aveuglément leurs auspices.
Par contre, il y a deux sujets que la régulation peut prendre en main : le risque systémique visant à déclencher l’alerte bien avant l’explosion, ce que le suivi des capitaux propres, des risques et de la liquidité par établissement ne permet pas actuellement de faire, et la protection des systèmes financiers régionaux. Sur ce dernier point, de même qu’il existe des normes et contrôles sanitaires entre les régions du monde, il pourrait être mis en place des normes et contrôles de la toxicité des produits financiers, afin que les errements idéologiques d’un gouvernement ne puissent polluer les systèmes financiers régionaux comme la zone Euro.

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[1]In recent years the finance sector accounted for 8 percent of America’s G.D.P., up from less than 5 percent a generation earlier. If that extra 3 percent was money for nothing — and it probably was — we’re talking about $400 billion a year in waste, fraud and abuse.
Paul Krugman in Op-Ed Columnist - The Madoff Economy - NYTimes.com

[2]9.2 million [personal] bankruptcies in the past seven years. Is this a serious problem? That’s about 5% of working age Americans. Presently about 1.2% of working age Americans are filing [for bankruptcy] each year.
Noni Mausa in Angry Bear: Who has “bad credit” when a million Americans file for bankruptcy?

[3] http://www.gao.gov/new.items/d09231t.pdf

On va dire …

Que veut-on dire quand on dit « on va dire … » ?
On peut supposer que ce que l’on va dire n’est pas ce que l’on voudrait vraiment dire, mais pour quoi on ne trouve pas les mots appropriés. Mais alors, si on n’a pas encore trouvé les mots pour le dire, pourquoi en parler maintenant ? Il y a sans doute urgence d’en parler (pour tout un tas de raisons possibles tenant plus aux apparences qu’à la progression du savoir humain), accompagnée d’un fort risque de n’être pas compris ou d’être mal interprété, d’où la nécessité de faire précéder ce mot ou cette expression d’un bouclier qui permettra, contre toute attaque, de nier avoir exprimé par des mots le plus souvent ordinaires une opinion jugée, par la coterie à laquelle l’orateur appartient, politiquement incorrecte.
On peut aussi supposer que cela permet aux plus futés de la coterie de dire, sans se priver le moins du monde, tout ce qu’ils pensent vraiment de tout et de tout le monde, en le faisant simplement précéder de la formule absolutoire.
Enfin, il n’est pas exclu, quand on observe le succès populaire de la formule, qu’il manifeste une de ces petites insolences dont le peuple se régale à peu de frais par un sous entendu : « On va dire, comme l’intelligentsia parisienne, … » .

23.12.08

La Commission, la concurrence et l’électricité.

Comme chacun devrait le deviner, ce qui est difficile avec l’électricité, c’est de la produire, de la produire quand on en a besoin car on ne peut la stocker, et quand on l’a produite c’est de la rendre disponible à tout moment et à tous les endroits du territoire où les habitants peuvent en avoir besoin. Ce n’est pas l’avis de la Commission ; pour elle ce qui est difficile, et mérite protection, c’est de la facturer. Rien n’est donc plus important et urgent, en matière d’énergie[1], que de garantir à toute personne capable de faire des factures l’usage gracieux d’un réseau de distribution qu’il a fallu un demi siècle pour construire, et la production d’électricité d’une capacité nécessitant une maîtrise industrielle hors paire, à un prix lui permettant de vendre au même tarif que le producteur.
C’est ce qu’elle fait au Royaume-Uni, après l’avoir fait en Europe continentale, sur l’électricité et d’une manière générale pour tous les services publiques lourds en investissements. Mais avec l’électricité, service public fondamental pour les ménages et pour l’économie, et qui nécessite donc une modération tarifaire rigoureuse (comme le démontraient les tarifs français inférieurs à la moyenne européenne avant la réforme bruxelloise) on atteint les limites d’une idéologie. Cette destruction délibérée de ce qui constituait une motivation essentielle des investissements lourds (permettre une exploitation rentable de longue durée), représentation concrète de la valeur d’une entreprise industrielle, rendra très difficile les prochaines décisions d’investissement lourds ; le pire sera un financement d’état et une exploitation privée, détournement prévisible de la valeur ajoutée de l’investissement.

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[1] Comme si l’U.E. n’avait pas de problème énergétique plus urgent que de compliquer le seul domaine énergétique qu’elle maîtrise, alors qu’elle est dépendante du reste du monde pour tous les autres, ce à quoi la Commission ne semble pas se passionner, et que la Commissaire à la Concurrence ignore superbement.

22.12.08

Le mythe des modèles mathématiques

C’est curieux, le seul tort que veulent bien reconnaître les banquiers c’est de ne pas avoir compris les applications mathématiques sophistiquées qu’ils croyaient indispensables au développement de leurs activités et de leurs profits. Comme la plupart des gens n’ont qu’une sympathie très limitée pour les mathématiques, ils y voient une circonstance atténuant la responsabilité des grands patrons des banques. Malheureusement c’est faux ; il y a certes des applications mathématiques complexes utiles dans certains domaines, comme les options ou les warrants, mais le niveau de mathématiques nécessaire pour établir l’échéancier d’un crédit immobilier, serait-il à des conditions insensées comme les « subprimes option ARM », ne dépasse pas le niveau de la classe de première.
Or, l’étape actuelle de la crise financière est principalement causée par les prêts immobiliers, et les mathématiques n’y sont pour rien. En effet, on s’aperçoit progressivement que, pour faire apparaître de très juteux profits sur des prêts consentis à des foyers aux ressources insuffisantes pour faire face aux remboursements, il doit y avoir un truc. Le truc c’est d’utiliser un artifice comptable qui n’a pas été conçu pour un usage manifestement abusif : la comptabilisation, le jour de la signature du contrat, de la totalité du profit attendu sur toute la durée du contrat, souvent trente ans.
Alors, on peut supposer que certains de ces responsables de grandes banques sont d’un niveau de nullité qui leur permettait de ne pas découvrir cela, mais constatant que le Directeur de la Banque de France non seulement le sait, mais s’en inquiète[1], on est forcé de se demander si ce mythe des modèles mathématiques, dissimulation aux effets peu durables, ne révèle pas de profondes inquiétudes.

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[1] http://www.banque-france.fr/fr/instit/telechar/discours/2008/disc20081211.pdf

20.12.08

Les activités pour compte propre des banques

Pour ceux qui s’intéressent à l’opinion des Américains sur la crise et la finance, le blog « Quoting the Crisis » est une source prolifique de références. Hier il nous a amené une citation de Paul Krugman, extraite de son billet du NYTimes[1] : « Au cours des dernières année le secteur financier a représenté 8% du PNB américain, au lieu de moins de 5% précédemment. Si ce supplément de 3% n’a servi à rien – et c’est probablement le cas – on parle d’environ 400 Milliards de $ par an de gaspillage, tromperie et pratiques abusives. »
Il faut l’autorité d’un prix Nobel pour oser une telle accusation, mais maintenant qu’il a ouvert le débat, on aurait tort de ne pas le poursuivre. Et cela d’autant plus que cette accusation va à contre courant du discours fréquent nous alertant sur l’impérieuse nécessité de ne pas freiner l’expansion de la création financière si profitable à l’économie (paraîtrait-il, ce que ne croit apparemment Paul Krugman), et que ne manquerait pas de causer tout renforcement de la régulation.
On nous a expliqué à juste titre que la finance jouait un rôle irremplaçable dans l’économie, et qu’il était donc de l’intérêt général d’empêcher les banques de faire faillite. Ce point n’étant pas contesté, il en résulte un statut de quasi service public justifiant les soutiens qui leur sont accordés, voire imposés, jusqu’à la nationalisation si nécessaire. A partir de là l’intérêt général implique que la mission du système bancaire soit légèrement redéfinie, l’intérêt de la corporation financière devrait-il, non moins légèrement, souffrir de sa soumission à l’intérêt général.
Dans l’absence de statistiques solides, les informations dont on dispose permettent cependant d’affirmer que les activités pour compte propre des banques on soit été la cause de pertes considérables causées par une organisation insuffisante ou par une sous estimation des risques pris, soit généré des profits pour le moins discutables par trahison des intérêts de leurs propres clients, c'est-à-dire exactement les gaspillages, tromperie et pratiques abusives dont parle Paul Krugman. Rien ne devrait donc s’opposer à l’obligation de sortir les activités pour compte propre du statut bancaire ; si les actionnaires des banques veulent les poursuivre, libre à eux de constituer, hors du capital de la banque et de ses services, toute entreprise adaptée à cette activité, mais non susceptible de mettre en péril une banque.
A ceux que choquerait une telle mesure, demandons ce qu’ils penseraient si on autorisait d’autres corporations à entretenir aux frais de l’économie réelle une activité pour compte propre ; par exemple si les professions de santé s’organisaient pour qu’un étage de tous les hôpitaux se consacre uniquement aux personnels de santé ; s’y concentrerait l’élite du corps médical pour soigner le corps médical au moyen des techniques, matériels et molécules de dernier cri, le tout au frais de l’économie générale.
[1] http://www.nytimes.com/2008/12/19/opinion/19krugman.html?_r=3&em
« […]In recent years the finance sector accounted for 8 percent of America’s G.D.P., up from less than 5 percent a generation earlier. If that extra 3 percent was money for nothing — and it probably was — we’re talking about $400 billion a year in waste, fraud and abuse. […]”

17.12.08

Faut pas s’embêter avec les détails …

A la quatrième place de la liste des 10 meilleures citations de 2008 du Yale book of quotations, on trouve cette étonnante réponse du porte-parole du Treasury Department à qui on demandait d’expliquer comment avait été fixé le montant de 700 milliards de dollars du programme initial de secours à l’économie : Ce n’est pas basé sur des données particulières, on voulait juste choisir un nombre vraiment grand.

Quand on vous dit que la haute finance c’est très, très, très, très, très, très, compliqué …
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http://www.nydailynews.com/news/2008/12/15/2008-12-15_top_ten_quotes_of_2008.html

16.12.08

La confiance pose-t-elle plus de problèmes qu’elle n’est supposée en résoudre ?

On nous a beaucoup parlé de la confiance comme une vertu qui apporte aux sociétés qui la pratiquent le succès et le bonheur. Et certain avaient si bien gobé cet hameçon qu’il y a même eu des livres qui décrivaient la confiance comme une condition indispensable à la réussite économique, c'est-à-dire à la croissance du PIB, aux dividendes, et, pourquoi pas, au bonus (voir notre article du 5 Août 2008 De la confiance, en gros et en détail).
Malheureusement la confiance n’est pas une vertu, c’est un sentiment qui peut soutenir l’exercice de véritables vertus comme la franchise ou la générosité, mais en aucun cas suffire à l’action, de même qu’il ne faut pas agir sous l’empire de la haine ou de la jalousie. Lorsque ce point important est admis, peut-on répondre à la question posée en titre ? Ou bien, plus utilement encore, peut-elle, convenablement appliquée, nous aider à agir ?
Chaque fois que l’on décide de faire quelque chose avec une machine ou avec un animal, on évalue le risque qui résultera nécessairement, mais avec plus ou moins d’intensité, de cette action. Selon l’évaluation que l’on fait de ce risque, on procédera à l’action prévue, ou on s’équipera d’une protection (casque ou tablier) ou d’une garantie (assurance), ou éventuellement, on y renoncera, le risque s’avérant dépasser nos forces ou nos moyens.
Il devrait en aller de même avec les hommes ; toute action qui repose sur la participation d’autrui demande à être examinée sous l’angle de sa réussite d’abord, bien entendu, mais aussi sous l’angle de son échec possible ; et il faut évaluer les conséquences de cet échec. S’il résulte de cette analyse que la personne peut vraisemblablement conduire l’action envisagée de manière satisfaisante avec des risques d’échec mineurs et que l’on a les moyens de les supporter, on dira que l’on peut lui faire confiance, mais en vérité on se fait confiance à soi-même et à notre capacité d’analyser correctement la situation, les risques qui y sont associés et les moyens nécessaires pour réparer un éventuel échec. Et si notre analyse nous conduit à la conclusion inverse, on renoncera à l’action envisagée ; on dira alors que l’on n’a pas fait confiance à la personne, mais en vérité on ne se sera pas reconnu la capacité ou les moyens de surmonter les difficultés qu’elle pourrait nous causer.
Ainsi, si on veut parler de confiance en matière de prise de décision, il faut admettre qu’elle n’exprime pas un jugement sur la personne qui devra exécuter la décision mais sur nous-même et la capacité que nous nous reconnaissons de surmonter les difficultés.
L’application de ce petit principe par de très grandes et très hautes personnes aurait peut-être évité que des centaines de milliards s’évanouissent dans les égouts de Wall Street.

11.12.08

Qui veut une petite leçon d’économie européenne par le dernier Nobel de cette matière ?

Dans le New York Times d’aujourd’hui, de Paul Krugman, l’article suivant (traduction)[1].

Il y a une extraordinaire – et extraordinairement dépressive – interview dans Newsweek de Peer Steinbrueck, le ministre des finances allemand. L’économie mondiale est en train de faire un terrible plongeon, visible partout. Et Mr. Steinbrueck s’oppose fermement à toute mesure fiscale extraordinaire, et dénonce Gordon Brown pour son « keynésianisme crasseux ».
Vous pouvez vous demander pourquoi cela retient notre attention. L’économie allemande est certes la plus grande d’Europe, mais elle ne représente qu’un cinquième du PIB de l’U.E., et environ un quart de l’économie US. Aussi en quoi l’intransigeance allemande a-t-elle de l’importance ?
La réponse est que la nature de la crise, combinée avec le haut degré d’intégration de l’économie européenne, confère à l’Allemagne un rôle stratégique spécial actuellement – et Mr. Steinbrueck est en conséquence en train d’accomplir une quantité remarquable de dégâts.
Voici l’enjeu : nous nous dirigeons rapidement vers un monde dans lequel la politique monétaire a peu ou pas d’effet : les taux des bons du Trésor aux États-unis sont déjà à zéro, et un taux proche de zéro va bientôt prévaloir dans la zone euro. La politique fiscale est tout ce qui reste. Mais en Europe il est très difficile de faire une expansion fiscale à moins qu’elle soit coordonnée.
La raison en est que l’économie européenne est tellement intégrée : les pays européen dépensent en moyenne un quart de leur PIB en importations entre eux. Puisque les importations tendent à augmenter ou à diminuer plus vite que le PIB durant un cycle économique, cela signifie probablement qu’environ 40% de la variation de la demande finale s’échappe en traversant les frontières intra européennes. Il en résulte que le multiplicateur d’une politique fiscale dans un seul pays est moindre que le multiplicateur d’une expansion fiscale coordonnée. Et cela signifie donc que l’échange de déficits contre un soutien de l’économie, en temps de crise, est beaucoup moins favorable pour n’importe quel pays européen qui le ferait seul que s’il est fait par l’Europe dans son ensemble.
En bref, c’est un exemple classique d’une situation dans laquelle la coordination des politiques est essentielle – mais vous n’obtiendrez pas de coordination si le responsable de la politique de la plus grande économie européenne refuse d’y participer.
Et si l’Allemagne empêche une réponse européenne efficace, cela va accroître de manière importante la sévérité de la crise dans son ensemble.
Pour résumer, il y a un puissant effet multiplicateur en action ; malheureusement il est en train de multiplier l’impact de la stupidité actuelle du gouvernement allemand.

L’avant dernière phrase, très inquiétante, nous invite à suivre de très près l’évolution du plan de relance allemand.
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[1] http://krugman.blogs.nytimes.com/2008/12/11/the-economic-consequences-of-herr-steinbrueck/

10.12.08

L’anticipation et la réaction

Le rythme intense des réactions de notre Président de la République nous fascine. Il n’est point d’incident survenant dans le territoire confié à son mandat qui ne mobilise d’urgence son attention, son temps et ses immenses moyens, sans qu’il en prévienne le renouvellement par une nouvelle loi après en avoir cautérisé les égratignures avec une enveloppe découverte par chance dans quelque tiroir oublié des greniers du Ministère des finances. Le petit peuple des électeurs n’est pas toujours conscient qu’un État vieux de 1000 ans, plus souvent accusé d’être sur-administré que l’inverse, qui rédige sans cesse des lois d’un volume proustien dont un stock considérable est toujours en attente d’être appliqué, faute sans doute de trouver un point d’application vraiment utile, puisse se trouver sans délai dans l’obligation de rédiger un texte dont l’urgente application avait jusqu’alors échappée à ses plus brillants esprits.
Et le petit peuple a peut-être raison ; en effet, les problèmes qui apparaissent dans la vie des individus et des communautés humaines tombent tous, à de très rares exceptions naturelles près, sous le coup de deux sortes d’attitudes :soit ils ont été anticipés et les réponses préparées, soit ils n’ont pas été anticipés et il ne reste qu’à réagir au mieux ; il est évidemment souhaitable d’avoir des réponses préparées, et on peut s’étonner que notre État soit quotidiennement confronté à des problèmes nouveaux que rien n’aurait permis d’anticiper.
On comprend que la vitesse des transports et l’instantanéité de la transmission de l’information, suscite une impression de confort au décideur ; il n’est plus nécessaire de préparer des mois à l’avance les solutions, temps nécessaire à l’acheminement des moyens, ni de donner les ordres des semaines à l’avance, temps nécessaire à la transmission des ordres. Mais cela, qui est vrai, ne concerne que le temps de l’action elle-même, pas le temps de la réflexion permettant d’anticiper la survenue du problème ni celui de la conception des réponses. Ajoutez à cela l’ivresse de l’action ressentie par le détenteur d’un pouvoir d’agir, et l’hypnose à laquelle ce spectacle soumet les observateurs médiatiques, et vous avez un Président de la République hyper réactif et content de l’être.
Or, si la vitesse a effectivement permis de régler mieux et plus vite certains problèmes, il s’en est révélé de nouveaux, comme l’effet de serre, pour la solution desquels la vitesse est plutôt un danger qu’une aide, alors que l’anticipation est tellement essentielle que notre prise en considération tardive a peut-être compromis, sinon la survie de la planète, au moins l’application des solutions les moins pénibles. De même, nous n’avons pas compris que la vitesse permettant la création et le fonctionnement d’une économie mondialisée, permettait aussi la diffusion quasi instantanée d’une maladie financière menaçant l’ensemble de l’économie ; et aujourd’hui, on entend l’aveu universel que personne n’a anticipé l’arrivée de cet évènement, et donc que personne, dans les cercles des pouvoirs, n’avait pris le temps de réfléchir pour anticiper.
Comme le disait Sun Tzu, « Celui qui excelle à résoudre les difficultés le fait avant qu’elles ne surviennent ». Il n’y en a pas à l’Élysée, mais à la décharge de son occupant, reconnaissons qu’il n’y en a pas non plus sur le reste de la planète.

7.12.08

L'inflation, la croissance et les experts

Les innombrables « experts » de l’analyse économique sont unis sur l’idée que la croissance de l’Europe est trop faible, voire bien trop faible, regardez donc le taux de croissance des 30 glorieuses ou le taux de la croissance mondiale pour vous en convaincre (disent-ils).
N’étant pas un expert, j’observe que la reconstruction d’un pays totalement ruiné par la guerre, suivie d’une prodigieuse modernisation, pour ce qui concerne la France, et aussi une grande partie de l’Europe, ainsi que le démarrage des pays en voie de développement avec sa construction massive d’infrastructures et la création d’industries ex nihilo, ne peuvent se comparer à l’évolution plus tranquille d’une économie stabilisée au plus haut niveau technologique de son époque. Il est donc souhaitable que la croissance, telle que sa mauvaise définition actuelle la conçoit, se poursuive au niveau de ce que nos experts appellent la croissance potentielle, et qui est, sauf erreur, inférieure à celle des trente glorieuses. Ce qui semble possible en appliquant des politiques raisonnables et efficaces. De là a dire qu’il existe une potion magique appelée inflation, il y a, même pas un fossé, un canyon. En effet, la période d’inflation utile s’est terminée à la fin des années 70 avec des taux qui atteignaient 15% et davantage, niveau auquel on en perd le contrôle et les avantages.
Mais il y a un argument à retenir au sujet de la prospérité des classes moyennes pendant les trente glorieuses ; certes, les circonstances l’on permise et l’inflation en a été l’accélérateur, mais elle rémunéraient aussi un immense effort collectif dont les générations actuelles n’ont pas idée, car la vie sociale se détériore au fur et à mesure où les malheurs et les drames s’éloignent et où la prospérité et le confort s’accroissent. Or les vingt dernières années ont profondément dégradé le statut économique des classes moyennes, dont le rôle dans le fonctionnement de la démocratie est trop important pour qu’il ne faille pas rechercher un moyen de le rétablir, probablement par d’autres voies, à rechercher, que l’inflation.

28.11.08

Oraison pour Greenspan

Personne n’était plus qualifié que Paul Volcker pour la prononcer

« Pour le dire simplement, le brillant nouveau système financier, en dépit de tous ses talentueux acteurs, de toutes ses somptueuses récompenses, a raté l’épreuve du marché. La confiance mutuelle entre des participants du marché dignes de respect sur laquelle doit reposer tout système financier solide et efficace a été vraiment mise en danger par son démontage désordonné. »[1]

Rapporté par Glenn Kessler
Washington Post le 27/11/2008
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[1] "Simply stated, the bright new financial system, for all its talented participants, for all its rich rewards, has failed the test of the marketplace," Volcker said during a scathing attack on Greenspan's approach earlier this year. "What has plainly been at risk is a disorderly unraveling of the mutual trust among respected market participants upon which any strong and efficient financial system must rest."
http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2008/11/26/AR2008112603957.html?wpisrc=newsletter

27.11.08

Il faut s'intéresser à l'Arctique ... maintenant

Le Centre d’Analyse Stratégique, dans sa note de veille n° 117 de Novembre, publie une brève, intitulée "l'Union Européenne en quête d'une statut d'acteur stratégique en Arctique", sur l’intense activité suscitée récemment par l’Arctique, et son considérable intérêt pour l’Union Européenne en particulier, et pour le monde en général (voir notre billet du 7 Mai 2008 sur le partage des ressources rares).
Ne pas manquer d’aller admirer la superbe carte établie par Philippe Rekacewicz.
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L’Arctique fait l’objet d’une préoccupation géopolitique croissante de la part de l’Union européenne. Le
10 septembre, lors de la conférence d’Ilulissat (Groenland) organisée par le Conseil des ministres nordiques pour débattre avec les pays nordiques, les États-Unis, le Canada, la Russie et la Chine, des préoccupations communes de l’Arctique (changement climatique, exploitation des ressources, nouvelles voies de navigation maritime), le commissaire européen à la Pêche et aux Affaires maritimes a annoncé l’adoption prochaine d’un plan d’action pour protéger l’environnement arctique et sa biodiversité. Le 9 octobre, le Parlement européen s’est prononcé en faveur d’un traité international sur la protection de l’Arctique. Les 9 et 10 novembre, à l’initiative de la Présidence française de l’Union, Monaco a accueilli une conférence internationale visant à dresser un état des lieux de la recherche environnementale en Arctique. Dix jours plus tard, la Commission européenne a adopté une communication sur la région arctique dans laquelle elle promeut la protection de l’environnement, une gestion durable de ses ressources et une meilleure gouvernance multilatérale. Contrairement à l’Antarctique, l’océan Arctique n’est régi par aucun traité spécifique. La convention des Nations unies de Montego Bay sur le droit de la mer (1982) n’a pas mis un terme au contentieux sur le statut des détroits et le partage des zones à fort potentiel énergétique. L’UE n’est pas représentée en tant que telle dans le Conseil de l’Arctique, forum de coopération créé en 1996, regroupant les huit États arctiques (Canada, Danemark, États-Unis, Finlande, Islande, Norvège, Russie, Suède), les populations autochtones et trois pays observateurs (Grande-Bretagne, Pays-Bas, Pologne). Elle ne peut durablement rester absente économiquement et politiquement de cette région, qui recèlerait, selon les dernières estimations de l’US Geological Survey, un cinquième des réserves mondiales d’hydrocarbures non encore découvertes. La sécurité de ses approvisionnements énergétiques passe par un resserrement des liens avec la Russie, susceptible de réduire sa dépendance pétrolière à l’égard du Moyen-Orient.
http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P6-TA-2008-
0474+0+DOC+XML+V0//FR&language=FR ;
http://www.ue2008.fr/webdav/site/PFUE/shared/import/1109_UE_Arctique/1109_UE_Arctique_Declaration_finale_11.11%20_FR.pdf ;
http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=IP/08/1750&format=HTML&aged=0&language=FR&guiLanguage=fr ; Philippe Rekacewicz, Géopolitique de l’Arctique : la course pour les ressources, pour télécharger la carte : http://www.cartografareilpresente.org/IMG/pdf/map-arctic.pdf

21.11.08

Le seul fonds souverain qui démarre avec un passif

Apparemment, personne n’avait averti Nicolas Sarkozy des conditions à satisfaire pour créer un fonds souverain (voir le billet du 9 juillet « Fonds souverain : ça en jette … »). Nous voilà donc affublé d’un fonds souverain comme il y en a peu :
- Portefeuille : 14 milliards en titre principalement du CAC 40, apportés par moitié par l’État et la Caisse des dépôts.
- Caisse : 7 milliards empruntés en totalité.
En conséquence, l’actif de ce chef-d’œuvre de la finance s’élève à 20 milliards, son capital à 14 milliards et sa dette à 7 milliards.
Comme les cours actuels de la bourse ne sont pas franchement des cours de vente, notre superbe fonds souverain dispose d’une capacité d’intervention stratégique de 7 milliards qui vont lui coûter au moins 300 millions d’intérêts par an. De quoi s’offrir 7,8% de Total au cours de 37.79.
Impressionnant.

15.11.08

Qu’entend-on par excès de régulation ?

Des gens habituellement très sérieux sont en train de nous mettre en garde, avec un air de profonde inquiétude, contre un des plus graves dangers qui nous guette : la réforme actuelle du capitalisme financier risque de causer un excès de régulation.
Ciel ! Mais qu’est-ce donc un excès de régulation ? Il faut y réfléchir à deux fois avant de comprendre de quoi il peut s’agir. Et c’est lors de la première fois que m’est revenue cette loi pédagogique de la Cosa Nostra : « nos adversaires ne sont pas les juges très honnêtes ou excessivement honnêtes, ce sont les juges honnêtes ». Et lors de ma seconde réflexion, j’ai imaginé ce que pourrait être un excès de régulation dans le code de la route : les associations d’automobilistes affirmeraient qu’elles sont pour le code de la route, mais qu’il ne faudrait pas tracer des lignes excessivement continues.
Évidemment, vous allez dire que la régulation financière ne concerne pas des populations peu soucieuses de légalité comme les maffieux, ou parfois irresponsables comme les fous du volant, mais des business men en costume trois pièces dont les mains ne sont tachées ni par le sang, ni par le cambouis, et que, par conséquent, leurs intentions sont pures. Admettons (dans l’intérêt de la discussion seulement).
Ce qu’on appelle la régulation n’est rien d’autre que la manière de mettre en pratique les lois et règlements régissant une activité. De ce point de vue, un non-financier comprend immédiatement qu’on régule ou qu’on ne régule pas, l’idée de réguler un peu, ou juste quand cela vous arrange ne pouvant sérieusement être considérée quand on parle de régulation ; d’ailleurs, ceux qui on l’expérience de conversations avec la maréchaussée au sujet d’un comportements ne respectant pas la régulation, comprennent dès le premier entretien qu’un vrai régulateur dispose d’une dialectique puissante (on ne peut y répondre) et efficace (on signe le PV).
Mais un financier vit dans un monde différent, sans maréchaussée, ou, ce qui ne vaut pas mieux, doté de régulateurs équipés d’une dialectique misérable comparée à l’autre. Et sa vision d’une régulation pas excessive, signifie que non seulement elle ne doit rien lui coûter, mais qu’elle ne doit surtout pas l’empêcher de poursuit des affaires fructueuses même quand elles franchissent légèrement la ligne, comme de prêter, à un Mexicain ramasseur de fraises et ne parlant pas un mot d’anglais, avec un revenu annuel de 14000$, la totalité du financement d’une maison de 720 000$, à Bakersfield en Californie*.


* Cité par Michael Lewis le 11/11/2008 dans The End of Wall’s Street Boom

8.11.08

Qui a écrit le compte rendu de la réunion informelle de l’U.E. ?

Ce compte rendu[1] énonce l’objet de la réunion et les décisions prises … comme tous les comptes rendus. Était-il besoin, plutôt que d’en exposer la conception d’ensemble et les conclusions, d’adopter la forme d’une liste de courses en 8 points? La question peut se poser, surtout pour aborder une négociation qui sera certainement difficile, car des points indépendants seront plus difficiles à défendre d’attaques indépendantes elles aussi.
Ensuite, la lecture de ce texte révèle quelques surprises stylistiques qui ne sont pas meilleures ; les voici.
« L’Europe doit prendre une part majeure sur trois plans : des principes […] ; une méthode de travail pour assurer des décisions réelles et rapides ; un programme complet de réponses […] adoptées sans délai. »
Cette phrase a un problème de construction : à partir des trois plans, on attend « des principes, de la méthode, du programme », ou bien " les principes, une méthode, un programme", les trois membres étant séparés par des virgules et non des points-virgules. Mais elle a surtout un problème de clarté : qu’est-ce qu’une part majeure ? Est-il concevable que l’U.E. organise une réunion mondiale et y participe en y tenant une part modeste voire médiocre ? Que sont des décisions qui ne seraient pas réelles ? Comment voit-on qu’un programme de réponses est complet ? Et si elles sont adoptées sans délai, pourquoi ne pas les adopter tout de suite et ne pas faire de programme ?
On voit que le rédacteur, recruté sans doute dans une officine publicitaire ou électorale, croit renforcer son texte en l’inondant de qualificatifs inutiles, ou gênant.
« Les normes […] devront être révisées de manière à s’assurer qu’elles ne contribuent pas […] ». « De manière à assurer » ne suffit-il pas ?
« Les organismes de normalisation, notamment en matière comptable devront être réformé pour permettre un véritable dialogue avec l’ensemble des parties intéressés, notamment les autorités prudentielles ». Il est exact qu’au delà de deux, on n’est plus dans le dialogue mais dans la conversation, mais ce n’est probablement pas le sens du texte, alors pourquoi véritable ? Par ailleurs l’usage répété de notamment (très abusivement employé devant les micros et caméras pour suggérer une liste longue et complexe dont on épargne l’énumération à l’auditeur) n’a pas d’emploi ici où on mentionne précisément les organismes et autorités concernés.
« Les grands groupes financiers internationaux devront être surveillés […], au travers de la mise en place de collèges ». Nous atteignons là un sommet de complexité : au travers de la mise en place est une expression incompréhensible, cependant au travers de collèges pourrait avoir un sens architectural et urbain, mais que faire alors de la mise en place ?
« La mission […] du FMI, qui dispose de la légitimité […] pour devenir de plus en plus le pivot […]. » L'idée que l'on puisse progresser dans l'état de pivot ne peut faire référence qu'au basket, sport respectable mais n'ayant que de lointains rapports avec la régulation financière. Mais bon ...
« […] son rôle sera mieux articulé avec celui du Forum […]. »
« […] cinq orientations concrètes pourraient être adoptées dès le 15 novembre ; »
On ne voit pas ce que des orientations peuvent avoir de concret (on a la chance cependant d’échapper au TRES concret d’usage quasiment obligé de nos jours), ni ce qu’apporte dès si ce n’est que l’adoption le 15 novembre serait substantiellement supérieure, pour le bon peuple ébaubi par l’efficacité présidentielle, à une adoption regrettablement tardive le 16 ou le 17 du même mois.
« Le FMI doit […] exercer pleinement son rôle de surveillance. »
« la promotion du libre échange à travers l’achèvement rapide du cycle de Doha. » On ne peut que souhaiter que tout ce qui sera fait « à travers » ne soit pas fait de travers.
Qu’aurait pensé Boileau de tout ça ?

[1] http://www.ue2008.fr/impression.do?url=%2FPFUE%2Flang%2Ffr%2Faccueil%2FPFUE-11_2008%2FPFUE-07.11.2008%2FReunion_informelle_chefs_etat_et_de_gouvernement_de_Union_europeenne_le_7_novembre%3Bjsessionid%3D85892DF5F8EE016F92F62FE57A15D2AB

1.11.08

Au sujet des paradis fiscaux

Le développement insolent des paradis fiscaux, associé aux crises qu’on les accuse de provoquer, amène à s’interroger sur les services qu’ils doivent rendre à leur clientèle pour ainsi la fidéliser et l’accroître.
La liste non limitative de ces services doit s’établir, pour le vulgum pecus auquel je m’honore d’appartenir, à peu près ainsi :
- permettre aux mauvais citoyens d’échapper à l’impôt de leur pays ;
- permettre aux gains de personnages peu fréquentables d’être blanchis autorisant ainsi leur propriétaire à reprendre, peut-être, les apparences d’un bon citoyen, et en tout cas à son argent d’être utilement recyclé ;
- permettre aux États de s’affranchir de toute loi, comme ils l’ont toujours fait.
Ce que l’on appelle « paradis fiscaux » sont en vérité des enfers légaux ; il est donc normal que les nations adeptes de l’état de droit souhaitent les interdire, comme ils disent.
Cette fois, la crise et les difficultés budgétaires motivent plutôt le désir de récupérer l’impôt que celui de rétablir la morale, mais bon …

Jusqu’à présent, les tentatives de convaincre les paradis fiscaux de renoncer à leurs fructueuses opérations bancaires n’ont pas été réussies. Il va donc falloir trouver d’autres méthodes ou d’autres arguments. Il y a en effet deux manières de procéder : soit interdire les mouvements de capitaux vers les paradis fiscaux, soit avoir accès à une information détaillée et complète de tous les mouvements en provenance ou à destination des dits paradis.
L’interdiction des mouvements de capitaux pouvant être difficile à imposer, il reste le contrôle des mouvements.
Et cela ne doit pas être une mauvaise idée car nos amis américains ont mis en place après le 11 septembre un programme de surveillance portant sur les transferts bancaires internationaux transitant par SWIFT ; ce programme, géré par la CIA, a été révélé par la presse américaine le 23 juin 2006. Cette surveillance est dirigée vers tous les mouvements passant par SWIFT, quelque soient les pays de départ ou d’arrivée[1]. Tout ceci ayant été fait sans la moindre information à l’U.E., sans parler d’une discussion, on s’alarme en Europe des possibilités d’espionnage économique et accessoirement d’atteinte à la protection des données personnelles. Ce qui nous intéresse dans cette affaire, c’est que la seule institution au monde à avoir une connaissance complète de tous les mouvements de fonds vers les paradis fiscaux, c’est SWIFT. En effet, on trouve dans le rapport annuel de SWIFT[2] le nombre de banques et d’institutions financières avec lesquels SWIFT correspond et le nombre de message envoyés et reçus, par exemple :
Banq. Inst. Env. Reçus[3] Popul.[4] Reçus/Popul.
Lichtenstein 5 13 1114 2312 0.034 68
France 46 250 166k 171k 64.058 2.7

On voit ce qui caractérise un paradis fiscal : il a une banque ou établissement financier pour 1890 habitants (en France 1 pour 216000), et il fait 68 virements internationaux par habitant et par an (France 2.7).
Ces données étant publiques, et leur interprétation assez claire, l’U.E. ne devrait pas avoir de difficulté à obtenir de SWIFT, société de droit belge, les informations que la CIA a obtenues. Les sociétés Clearstream et Euroclear, principales chambres de compensations internationales, et concentrant à ce titre toutes les informations nécessaires aux transactions avec les paradis fiscaux qui ne sont pas gérées par SWIFT (opérations sur titres en particulier), et dont on observe qu’elles sont représentées au conseil d’administration de SWIFT, devraient être aussi interrogées sur les renseignements qu’elles communiquent probablement aussi à la CIA, et dont l’U.E. devrait exiger la communication.
A partir de ces informations, la lutte contre les paradis fiscaux prendrait une nouvelle tournure.
[1] http://www.cnil.fr/index.php?id=2231
[2] http://www.swift.com/

[3] Banques, Institutions financières, Messages envoyés en milliers, Messages reçus en milliers
[4] en millions

9.10.08

Les États-unis s’interrogent sur leur stratégie afghane

La transition entre l’administration actuelle et celle qui lui succédera va créer un vide du pouvoir US d’environ un semestre. Cette perspective amène les responsables aux plus hauts niveaux du gouvernement américain à se poser les questions suivantes[1] :
- Quels sont nos objectifs en Afghanistan ?
- Qu’espère-t-on accomplir ?
- De quels moyens disposons-nous ?
- Quel est le rôle de nos alliés ?
- Que savons-nous de l’ennemi ?
- Quelle est la probabilité que les gouvernements impuissants Afghan et Pakistanais s’élèvent à la hauteur de la situation ?
-
Les alliés des États-unis ont accepté d’être placé sous les ordres d’un commandement purement tactique qui ignore ses objectifs stratégiques, non parce qu’ils sont gardés secrets par son gouvernement, mais parce que son gouvernement n’y a pas encore réfléchi. Dans le meilleur des cas, la nouvelle administration y pourvoira dans six ou sept mois.
Nous avons donc envoyé des forces jouer un rôle de supplétif dans un conflit dont l’inventeur a perdu la finalité, et dont il semble ne pas savoir comment sortir.

Admettant qu’il est vain de pleurer sur le lait répandu, le moins que les alliés puissent faire, pour donner un sens à la poursuite de cette aventure, est d’exiger qu’au-dessus du commandement unique, qui militairement est utile, soit placé un conseil stratégique composé des représentants des pays alliés chargé de fixer la stratégie à appliquer pour mettre un terme à cette guerre, ou pour la poursuivre avec des objectifs clairs et les moyens qu’alors elle exigerait.

[1] Washington Post Thursday, October 9, 2008
[…] As the U.S. presidential election approaches, senior officials have expressed worry that the situation in Afghanistan and Pakistan is so tenuous that it may fall apart while a new set of U.S. policymakers settles in. Others believe a more comprehensive, airtight road map for the way ahead would limit the new president's options.
Lt. Gen. Douglas E. Lute, President Bush's senior adviser for Iraq and Afghanistan, has told Pentagon, intelligence and State Department officials to return to the basic questions: What are our objectives in Afghanistan? What can we hope to achieve? What are our resources? What is our allies' role? What do we know about the enemy? How likely is it that weak Afghan and Pakistani governments will rise to the occasion?
Alarms were first sounded early this year, when Secretary of State
Condoleezza Rice returned from a trip to Afghanistan in early February -- her first in two years -- convinced that the war there was heading downhill. Defense Secretary Robert M. Gates shared her pessimism, telling Congress that same week that Taliban insurgents had adopted more dangerous tactics, that the U.S.-led military coalition was disorganized, and that international development efforts were failing because "there is no overarching strategy." […]

8.8.08

Fonction : Président de la République

Il n’est sans doute pas équitable de porter un jugement définitif sur un Président de la République en fonction depuis seulement quatorze mois, pour la simple raison qu’il n’a pas encore eu à maîtriser toutes les situations auxquelles il est possible qu’il soit confronté un jour, fort heureusement pour certaines ; mais il est possible d’avoir dès maintenant une opinion sur certaines de ses aptitudes à la fonction.

Le Président de la République française est l’institution qui a la charge d’indiquer la voie de l’avenir, voie qui doit assurer la pérennité du pays dans le respect de ses valeurs essentielles. Depuis l’instauration de la cinquième république, l’objectif de la politique globale de la France est l’indépendance. Perfectionner, prolonger et poursuivre cette politique nécessite évidemment une vision stratégique de l’avenir ; en l’occurrence, l’approche française de la stratégie repose sur deux principes : la recherche et le maintien de la liberté d’action et l’économie des moyens employés.
La fonction nécessite aussi, non pas une compétence technique qui lui est apportée par les services de l’État et tous les experts possibles, mais la capacité intellectuelle à intégrer toutes les évolutions techniques et technologiques dans la politique globale d’indépendance.
Or, on ne peut que constater des faiblesses inquiétantes dans la manière dont la fonction a été tenue. Les voici :
- Les relations internationales (domaine d’intervention important du Président, même si on ne l’appelle plus « domaine réservé »), ne sont pas traitées avec le sérieux nécessaire à la préservation de notre liberté d’action avec tous les pays ; cela a été en particulier démontré dans les relations avec la Chine, la posture de la France ayant été manifestement incertaine, variable, preuve de la perte de notre liberté d’action entièrement captée par la Chine ; la réintégration dans l’OTAN marque aussi une perte délibérée de notre liberté d’action. Il faut noter à cet égard qu’il n’y a pas de contrepartie valable à une perte de la liberté d’action.
- La prévision économique présidentielle s’est largement trompée, aveuglée par un optimisme ne reposant sur rien ; cela aurait dû faire partie des éventualités sans perturber autrement la situation. Malheureusement cet optimisme infondé a été traduit en mesures coûteuses qui ont conduit à une situation économique pire que celle qui aurait résulté de la seule dégradation de la conjoncture. Il s’agit là d’un non-respect du principe d’économie des moyens lourd de conséquence. Ceci a été encore aggravé par la décision de reporter le retour à l’équilibre budgétaire.
- L’attitude devant les problèmes techniques gouvernementaux laisse apparaître des faiblesses inquiétantes : - la tentative de contourner une décision du Conseil constitutionnel par l’instance chargée de protéger la constitution, donc son gardien, laisse sans voix ; - les critiques de la BCE marquées d’une grave incompréhension de la monnaie et de l’économie ; - la confusion entre l’argent, l’épargne et le pouvoir d’achat ; - la séduction ressentie pour le modèle américain dont les vertus romanesques se traduisent dans les faits par la crise financière mondiale, une politique étrangère désastreuse, un protectionnisme caricatural.
Par ailleurs, lorsque la durée du mandat présidentiel a été réduite de 7 à 5 ans, l’horizon présidentiel s’est raccourci de 14 à 10 ans, en admettant que tous les Présidents demandent à être réélus, et parfois obtiennent satisfaction. A une époque de changements importants et rapides du monde, une réduction de 30% est considérable. Mais quand le Président déclare qu’il n’a pas l’intention de demander le renouvellement de son mandat, ce qui n’est peut-être qu’une contorsion politique mais que l’on doit quand même prendre au sérieux, il réduit son horizon d’une baisse supplémentaire de 50%, ce qui amène forcément à la conclusion que la République a perdu son protecteur de l’avenir.

En conclusion, si nous avions à juger d’une période d’essai, la réponse rationnelle serait de mettre fin au contrat. Mais nos institutions sont modérées et n’interrompent pas un mandat pour simple incompétence. Espérons que notre Président actuel réalise qu’il a sa propre révolution culturelle à accomplir simplement pour faire son devoir de Président.

5.8.08

De la confiance, en gros et en détail.

Un petit livre d’une centaine de pages intitulé « La société de défiance ou Comment le modèle social français s’autodétruit », de Yann Algan et Pierre Cahuc, a été publié en février 2008, dans la collection du CEPREMAP (Centre pour la recherche économique et ses applications), 5€, Éditions Ens rue d’Ulm.

La crise dans laquelle nous nous trouvons, - il ne serait en effet pas raisonnable de dire « la crise que nous traversons », car nous n’en avons pas encore entraperçu la sortie -, est la conséquence de l’autodestruction du capitalisme pour certains et de notre modèle social pour d’autres. Le terme autodestruction est approprié, car dans un cas comme dans l’autre, c’est bien par ceux qui sont à l’intérieur du capitalisme et du modèle social français que la destruction a été entreprise par l’effet de leurs excès et l’oubli des valeurs sur lesquels ils reposaient.

On s’intéressera seulement ici à la thèse concernant la défiance, car elle nous semble mériter un intérêt particulier : ils sont en effet peu nombreux les professeurs d’économie qui, sérieusement, osent présenter un diagnostic reposant sur un seul argument : les Français se méfient de leurs concitoyens, alors que les autres ne se méfient presque pas des leurs, et de toute façon beaucoup moins que nous.

Et quand on commence à réfléchir à cette question que notre inventaire permanent des innombrables défauts de nos insupportables concitoyens n’avait pas encore en stock, on se dit que cela pourrait bien être vrai :
- à la supérette, la caissière ne me fait pas du tout confiance, ni crédit en vérité ;
- mon banquier, je n’en parle pas, à croire qu’il est payé pour tout me refuser ;
- mon assureur m’oblige à lire et à signer des pages et des pages du contrat, et à lui faire des déclarations écrites dès que je casse un peu ma voiture ;
- le gars à qui j’ai vendu ma maison a voulu que le notaire s’en mêle ; il ne croyait pas que j’avais le droit de la vendre …
- quand j’ai eu un enfant, personne ne me croyait jusqu’à ce que je l’ai déclaré à l’état civil
- le gendarme qui m’a arrêté sur la route lui non plus ne croyait pas que c’était ma voiture, ni que j’avais le permis de conduire

Personne ne me fait confiance ! Mais alors, chez nos amis étrangers ce serait différent ? Il n’y aurait pas besoin de contrats, d’état civil, d’actes notariés, de permis de conduire ? Difficile à croire. En effet, l’État de droit dont personne ne conteste l’impérieuse nécessité, requiert l’instauration du Droit, source des règles appliquées par les institutions, dont on peut dire qu’elles ne font guère confiance aux hommes, à juste titre d’ailleurs, si on en croit l’histoire. Sur quoi repose donc la thèse de MM. Algan et Cahuc.

Elle repose entièrement sur une enquête (World Values Survey) qui cherche à comparer, selon l’introduction au WV Survey (http://www.worldvaluessurvey.org/), les valeurs et croyances d’une société avec les autres, et leur évolution. Les questions, plus de 80, portent sur de nombreux sujets allant de votre orientation politique, à votre fréquentation des horoscopes, en passant par votre foi et votre pratique de la prière. Il y a aussi une question sur la confiance, et c’est là que se trouve le support expérimental unique de la thèse de MM. Algan et Cahuc.
Voilà la question telle qu’elle figure dans le questionnaire : « D’une manière générale, diriez-vous qu’on peut faire confiance à la plupart des gens ou qu’on n’est jamais assez prudent quand on a affaire aux autres? ». Curieusement, dans le livre cette question est toujours citée d’une manière assez différente : « En règle générale, pensez-vous qu’il est possible de faire confiance aux autres ou que l’on est jamais assez méfiant ? ». Le vocabulaire de la question authentique est moins fort que sa « traduction » par MM. Algan et Cahuc ; comme on peut l’observer pour trois mots importants de la phrase : d’un côté on a « diriez-vous, la plupart des gens, prudent », de l’autre on a « pensez-vous, les autres, méfiant », ce qui donne à la seconde un caractère certain, péremptoire et général absent de la première.

Pour tout dire, considérant notre éducation et notre culture de la raison et de l’esprit critique, la réponse apportée par les Français à la vraie question de l’enquête n’a rien de surprenant ni qui dénote une méfiance particulière, car être prudent envers la plupart des gens ne vous empêche pas de faire preuve de confiance raisonnée envers le groupe situé au-delà de la plupart.
Reste alors à expliquer les réponses des pays les plus différents de nous ; le groupe spectaculaire des pays nordiques permet de faire l’hypothèse que leur climat très rigoureux pousse leurs sociétés à des obligations de solidarités inconnues dans notre pays, sauf lors les grandes crises (climatiques ou autres) qui rapprochent les hommes. Mais nos auteurs ne s’embarrassent pas à rechercher des causes originales de différence, leur siège est fait, et ils vont utiliser le résultat de cette question pour découvrir des corrélations démontrant irréfutablement la validité de leur thèse. On aura ainsi :
- Corrélation entre la part des personnes qui répondent, dans chaque pays, « oui » aux questions : « En règle générale, pensez-vous qu’il est possible de faire confiance aux autres ? » (axe vertical) et « Trouvez-vous injustifiable de réclamer indûment des aides publiques ? » (axe horizontal).
- Corporatisme et confiance mutuelle. Le corporatisme est mesuré par le nombre de régimes de retraite. La confiance est mesurée par la part des personnes qui répondent, dans chaque pays, « oui » aux questions : « En règle générale, pensez-vous qu’il est possible de faire confiance aux autres ? »
- Universalisme et confiance mutuelle. L’universalisme est mesuré par la part de la population en âge de travailler éligible aux allocations sociales de maladie, de chômage et de retraite. La confiance est mesurée par la part des personnes qui répondent, dans chaque pays, « oui » aux questions : « En règle générale, pensez-vous qu’il est possible de faire confiance aux autres ? »
- Égalitarisme et confiance mutuelle. L’égalitarisme est mesuré par le rapport entre les allocations sociales de base et les allocations maximales. La confiance est mesurée par la part des personnes qui répondent, dans chaque pays, « oui » aux questions : « En règle générale, pensez-vous qu’il est possible de faire confiance aux autres ? »
- Défiance envers le marché et confiance mutuelle.
- Nombre de procédures pour créer une entreprise et confiance mutuelle.
- Taux de syndicalisation et confiance mutuelle
- Salaire minimum légal et confiance mutuelle
- Taux d’emploi total et confiance mutuelle
- Niveau de satisfaction dans la vie et confiance mutuelle

Là se situe l’épine dorsale de la démonstration du petit livre sur la société de défiance. Ces dix graphiques illustrent tous la relation d’un paramètre de l’enquête avec la réponse à une seule question, dont le moins qu’on en puisse dire est qu’elle est imprécise et que ses résultats sont exploités, en raison même de cette imprécision, de manière discutable. En d’autres termes, la thèse de cet ouvrage repose sur une facilité qui lui retire tout intérêt.

Faut-il s’en étonner ?

La confiance est un sentiment, pas un objet économique. Elle se mérite, ne se décide pas, ni ne se décrète. Le droit n’est pas l’institutionnalisation de la défiance, c’est une organisation mesurée de la liberté. Et la liberté de chacun est d’accorder avec prudence, à ses connaissances, le degré de confiance que la qualité de leurs rapports aura permis de construire. Et nous offrons, à tous ceux qui viendraient à nous rencontrer la même perspective.

27.7.08

Le mandat impératif et la réforme de la constitution

Les électeurs comprennent mal que les députés qu’ils ont élus, et pour lesquels ils avaient voté souvent en considération du programme du parti dont ils avaient reçu l’investiture, votent en définitive à l’opposé de la position de leur parti. Ils ont pourtant de nombreuses raisons de comprendre, et respecter, un tel choix, tout d’abord parce que l’article 27 de la constitution interdit le mandat impératif, ensuite parce que certains partis adoptent la liberté de vote et l’exercice du mandat « en conscience », et enfin parce que les électeurs choisissent parfois un représentant non pas à cause de son investiture, mais intuitu personae quand ils ont eu la possibilité (et la chance) d’apprécier sa valeur et sa vertu. Il n’en reste pas moins que cela les perturbe à un point qu’il faut regretter.

En effet, les électeurs devraient être satisfaits tout d’abord que l’obligation constitutionnelle de l’exercice personnel du droit de vote par les membres du Parlement soit appliquée au-delà du simple formalisme habituel (pratique matérielle du vote), ensuite que certains de ses représentants aient une idée assez haute de leur devoir envers la Nation pour exercer en conscience le pouvoir reçu de leurs électeurs, enfin d’observer la force d’âme de ceux qui résistent aux tentations et aux menaces supposées les faire plier.

Mais tout ceci est insuffisant car la rumeur médiatique, fuyant le spectacle du courage et de la raison, ne colporte que la spectaculaire contradiction affichée par un parti dont deux membres voteraient différemment.

Chers électeurs, vous avez démontré assez souvent votre finesse politique en ridiculisant les pseudos faiseurs d’opinion que sont les instituts spécialisés et les commentateurs politiques, pour comprendre que tous les votes des parlementaires ne sont pas équivalents. Il est naturel (encore que ce ne soit pas indispensable) que les votes concernant des mesures ordinaires, sans conséquences sur les fondements de la Nation ou de l’État, soient l’objet d’une discipline de vote, Mais quand il s’agit de votes portant sur des problèmes éthiques sur lesquels l’idéologie reste sans voix, ou sur les textes fondamentaux régissant notre République, le vote personnel, en conscience, rend à la représentation nationale son extraordinaire autorité.

Alors, à ce point, il reste à chercher la voie qui permettra d’arriver au vote personnel en partant des consignes des partis (consignes qui pourrait utilement être basée sur une consultation des militants).

Il serait souhaitable que cette voie permette aux parlementaires, déterminés à ne pas suivre les consignes du parti, de rendre public ce choix aussi tôt que possible en en expliquant les raisons, (cela aurait aussi l’avantage de rendre un peu plus difficile les tentatives de séductions de très hauts personnages de l’État, toujours disposés à faire trahir ses adversaires). Ainsi, avant le vote les électeurs, mis au courant, auraient pu entamer le débat sur cette question dont l’issue clarifierait au moins partiellement les décomptes du vote.

22.7.08

La troisième guerre de l'opium

La première guerre de l’opium se déroula de 1840 à 1842, entre le Royaume Uni de Grande Bretagne et la Chine en raison du refus du premier de respecter les édits impériaux de la seconde qui en interdisait l’importation jugée contraire à l’intérêt du peuple chinois, argument évidemment non recevable quand il contrarie le commerce, valeur anglo-saxonne suprême.

La seconde guerre de l’opium fut déclenchée pour les mêmes raisons quelques années plus tard (1856) car l’empereur poursuivait sa petite idée, et il n’avait sans doute pas tout à fait tort puisque vers la fin du siècle 20% de la population s’adonnaient à l’opiomanie.

En 2000, l’Afghanistan était le premier producteur mondial d’opium. Les talibans, au pouvoir depuis quelques années, décrètent alors l’interdiction de la culture du pavot et la destruction des récoltes. Ce qui fut fait. En 2001, la culture du pavot a cessé. A la fin de 2001, les tribus afghanes, avec l’aide des États-unis, entamèrent la troisième guerre de l’opium, et éliminèrent rapidement les talibans, ce qui permit à la culture du pavot de redémarrer sous la protection des seigneurs de la guerre et grâce à l’incapacité du pouvoir de l’empêcher.

Actuellement la fiche de la CIA sur l’Afghanistan* mentionne sa place de premier producteur mondial avec 4474 tonnes par an d’opium, représentant 526 tonnes d’héroïne. Il précise aussi que 80 à 90% de l’héroïne consommée en Europe provient d’Afghanistan.

Celui qui s’interroge sur la présence de forces occidentales en Afghanistan aboutit forcément à la conclusion suivante : - si le but de l’intervention était d’assurer l’approvisionnement de l’Europe en héroïne, la troisième guerre de l’opium est un franc succès, et la participation européenne est parfaitement justifiée ; il ne fallait évidemment pas laisser les talibans nous priver de notre principale source d’approvisionnement ; - s’il y avait d’autres buts de guerre, officiels ou secrets, l’analyse de la situation actuelle conduit à penser qu’ils n’ont pas été atteints, et ne peuvent plus l’être, ce qui amène à se demander à quoi l’Europe participe, et si on ne le sait pas, pourquoi continuer ; à quoi la France devrait ajouter d’urgence, et pourquoi envoyer de nouvelles troupes ?

J’entends déjà des experts m’expliquer qu’il s’agit là de questions complexes, que l’Afghanistan n’est qu’une petite pièce dans l’immense puzzle stratégique conçu et exécuté par l’anglosaxonnerie partout à la pointe de la pensée, comme dans la finance par exemple, tous arguments qui nourrissent mon respect et mon admiration, mais alors dites moi quels sont maintenant vos buts de guerre et comment vous allez les atteindre. Merci d’avance.



*world's largest producer of opium; cultivation of 107,400 hectares in 2005; potential opium production of 4,475 metric tons; if the entire poppy crop were processed, it is estimated that 526 metric tons of heroin could be processed; many narcotics-processing labs throughout the country; drug trade is a source of instability and some antigovernment groups profit from the trade; significant domestic use of opiates; 80-90% of the heroin consumed in Europe comes from Afghan opium; vulnerable to narcotics money laundering through informal financial networks; source of hashish.

21.7.08

Découvrez la vente à découvert.

Le premier boursicoteur se rendit compte très vite que spéculer à la hausse c’était bien, mais qu’il y avait aussi des baisses, d’amplitude presque aussi grande que les hausses, et que si on pouvait les utiliser pour gagner des sous la bourse deviendrait un vrai paradis. En effet, gagner quand ça monte et gagner quand ça descend, que souhaiter de plus ?

Il fallait cependant trouver le moyen, car pour gagner à la hausse, il suffit d’acheter des titres à un prix, et de les vendre quand ce prix a augmenté, ce qui est tellement simple que c’est la base du commerce. Mais gagner à la baisse c’est beaucoup plus délicat ; il faudrait vendre des titres que l’on n’a pas quand ils cotent un certain prix, et les acheter quand le prix a diminué. Évidemment, là ça coince car personne ne veut acheter, et payer, des titres qui ne lui sont pas immédiatement remis ; il faut donc se procurer des titres en les empruntant à quelqu’un qui en a pour les donner à celui à qui vous allez en vendre ; puis les titres achetés quand le cours aura baissé seront donnés au prêteur en remboursement de ceux qu’il avait prêtés. C’est un peu compliqué, mais on comprend quand même que ça peut marcher quand le cours baisse, mais que se passe-t-il quand le cours monte ? Comme il va falloir rembourser quand même celui qui nous a prêté des titres, il va falloir en acheter à un cours supérieur au prix où nous avons vendu, et donc faire une perte pour dénouer l’opération.

On penserait que cette procédure a eu le temps de se parfaire et de fonctionner correctement de nos jours, et quelle n’est pas notre surprise de découvrir que la fameuse SEC (Securities and Exchange Commission) vient de sortir, le 15 juillet, un « emergency order » applicable du 21 au 29 juillet, et concernant les titres des plus grandes banques du monde ainsi que ceux de Fannie Mae et de Freddie Mac:

IT IS ORDERED that, in connection with transactions in the publicly traded securities of substantial financial firms, no person may effect a short sale in these securities unless such person or its agent has borrowed or arranged to borrow the security or otherwise has the security available to borrow in its inventory prior to effecting such short sale and delivers the security on settlement date.

Ce qui revient à dire 1. qu’avant le 21 et après les 29 juillet 2008 cet ordre ne s’appliquait et ne s’appliquera pas, et 2. que sur les titres autres que ceux des plus grandes banques mondiales ils n’ont jamais eu à s’appliquer, ce qui est étrange, la vente à découvert reposant, comme son nom l’indique, sur une vente comptant et donc sur des titres livrables. Mais peut-être qu’aux États-Unis ce n’est pas comme chez nous …

Nous en étions là de nos réflexions quand fut publié ceci :

Vendredi 18.07.2008
L'Autorité française des marchés financiers (AMF) a fait savoir vendredi que plusieurs notifications de griefs avaient été adressées à des acteurs financiers pour des ventes à découvert illicites.
Selon l'AMF, plusieurs affaires sont étudiées par la commission des sanctions. Il est reproché à des acteurs financiers d'avoir vendu des titres alors que le marché du prêt emprunt de titres ne permettait pas de les emprunter pour assurer la livraison sous trois jours. L'autorité de régulation a également rappelé que les ventes à découvert étaient autorisées en principe, à condition d'être compatibles avec le règlement, qui prévoit justement une livraison des titres vendus dans un délai de trois jours.

Il semble que chez nous ce n’est pas mieux qu’aux États-unis. Ce serait bien quand même que l’on nous explique qui a été victime de ce qui ressemble fort à des magouilles.

16.7.08

Partageons la réalité, pas la statistique

On se doute bien que tenir une comptabilité ce n’est pas simple, et quand il s’agit de la comptabilité d’une nation, cela peut devenir franchement compliqué. C’est la tâche qui a été confiée à l’Insee qui devrait, selon certains, non seulement tenir les comptes du pays et les perfectionner si nécessaire, mais aussi produire des chiffres qui leur plaisent. Là, les statisticiens coincent un peu, car ce qu’ils aiment c’est bien faire des statistiques, et si, à l’occasion, ça fait plaisir à quelqu’un, tant mieux.

Ces derniers temps, les clients de l’Insee ont exprimé leur mécontentement à plusieurs reprises ; d’abord sur l’indice servant à revaloriser les loyers, afin de faire un truc simple, un indice qui augmenterait très peu les loyer tout en encourageant les propriétaires à investir dans les logements ; puis sur l’indice mesurant les variations de prix des produits qui tenait compte de tout un tas de produits qui n’augmentent pas, et même qui baissent, et ceux qui baissent, ils n’en achètent que très rarement ; il fallait donc faire un indice utile avec peu d’articles mais qui augmentent beaucoup, et si possible pas chez Leclerc, parce que c’est un copain.
Et cela ne va pas s’arrêter là, et cette fois c’est probablement moi qui ne vais pas être content. Voici l’enjeu : le partage de la valeur créée par les 25 millions de nos concitoyens qui bossent.
C’est un sujet qui n’a jamais vraiment intéressé les théoriciens de la comptabilité nationale, et quand on lui pose la question, l’Insee répond poliment que tous les chiffres nécessaires sont à notre disposition dans leurs publications, y compris un tableau abordant ce sujet. Nous y voilà ; le tableau en question intitulé « Partage de la valeur ajoutée à prix courants »
http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?ref_id=NATTEF08103&reg_id=0

A partir de ce tableau, s’est développée l’invention d’un changement tendanciel du partage de la valeur en faveur du capital et au détriment des salaires, et d’une ampleur considérable, de l’ordre de 10%, ce qui, en valeur, représenterait plus de 100 milliards d’euros. Un universitaire, Denis Clerc, a entrepris de contredire cette analyse avec une argumentation portant sur les données utilisées et leur interprétation. Sa propre analyse concluait que sur des périodes comparables, cette variation du partage n’était pas avérée.

N’étant pas un spécialiste, je ne prends pas position sur l’issue de ce débat, issue qui nécessite l’intervention des experts. Je demande cependant à l’Insee de compléter le tableau sur le partage d’une analyse de l’excédent brut d’exploitation, en particulier le fait qu’il est constitué à concurrence de 37% des loyers dont les « loyers implicites » c'est-à-dire les loyers que ne payent pas les 55% de Français propriétaires (et qui représentent de l’ordre de 100 milliards d’euros) ; il y aurait lieu aussi de s’interroger sur la diminution des revenus mixtes (entreprises individuelles) entre 1990 et 2006, qui résulte certainement en grande partie de la destruction du commerce de proximité par les grandes surface qui ont capté leur revenu. Voilà donc deux raisons qui expliquent l’évolution de l’excédent brut d’exploitation alors qu’elles sont sans influence sur les salaires : l’incorporation à l’excédent brut d’exploitation des loyers fictifs des ménages propriétaires, et la disparition des commerces de proximités dont les revenus ont été captés par la grande distribution.

Cependant, je crois qu’il existe dans la réalité, de toute façon et quel que soit le résultat du débat, un véritable problème de partage de la valeur créée, et que l’Insee pourrait nous aider à l’analyser.

En effet, comparer la masse des salaires à la masse des revenus du capital ne nous éclaire pas sur ce qui se passe à l’intérieur de la masse des salaires au niveau des individus qui reçoivent ces salaires ; par exemple, ajouter des temps partiels payés au smic ne constituerait pas un objectif souhaitable, même si cela améliorait les apparences du partage. Par ailleurs, l’élévation de la qualification concrétisée par la croissance de la population des cadres aurait dû augmenter la rémunération moyenne, indépendamment de la notion de partage, car une population plus qualifiée ne détériore pas, normalement, la productivité du capital, au contraire. Enfin, il y a les phénomènes spectaculaires mais probablement sans incidence notable sur les statistiques, les salaires de PDG, de footballeurs et autres stars sportives, ou médiatiques, qu’il faudrait au moins mentionner, ne serait-ce que pour conclure à leur invisibilité statistique.

Définitions utiles à la compréhension du tableau de l’Insee
L'excédent brut d'exploitation est le solde du compte d'exploitation, pour les sociétés. Il est égal à la valeur ajoutée, diminuée de la rémunération des salariés, des autres impôts sur la production et augmentée des subventions d'exploitation.Pour les entreprises individuelles, le solde du compte d'exploitation est le revenu mixte.L'excédent d'exploitation peut être calculé net, si l'on retranche la consommation de capital fixe.
Revenu mixte : Solde du compte d'exploitation pour les entreprises individuelles. Il contient deux éléments indissociables : la rémunération du travail effectué par le propriétaire et éventuellement les membres de sa famille, et son profit en tant qu'entrepreneur.
La formation brute de capital fixe (FBCF) est constituée par les acquisitions moins cessions d'actifs fixes réalisées par les producteurs résidents.Les actifs fixes sont les actifs corporels ou incorporels issus de processus de production et utilisés de façon répétée ou continue dans d'autres processus de production pendant au moins un an.
Valeur ajoutée : Solde du compte de production. Elle est égale à la valeur de la production diminuée de la consommation intermédiaire

13.7.08

L’hyper puissance a des courbatures

On nous annonce la première faillite d’un prêteur hypothécaire américain. Il est mis en faillite sans tentative de sauvetage parce qu’il est couvert par l'institution fédérale garantissant les dépôts bancaires, la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC). Le contribuable américain va payer les folies de son système financier, et cette fois on ne cherche pas à le lui dissimuler.
Dans le Washington Post du 11 juillet, on nous informait de la tenue d’une réunion de la Commission des Finances au cours de laquelle, en présence du Secrétaire d’État Paulson et du Président de la FED Bernanke son président a déclaré : « Nous avons certes le pouvoir de réagir aux crises, mais ce que nous sommes en train de rechercher ce sont les règles à instaurer pour réduire la probabilité des crises ».

Ce n’est évidemment pas très rassurant, sachant que la crise est annoncée depuis deux ans et a explosé depuis une année complète. Se pourrait-il que les prix Nobel d’économie, les Médaillés Field et autres super matheux qui ont conçu les instruments à l’origine de la crise ne coopèrent pas à la conception de procédures de régulations appropriées ?

C’est vrai que les parangons de la liberté du commerce n’ont pas de chance avec la régulation et d’une manière générale avec les normes qui la dominent. C’est ainsi que la loi mise promptement en œuvre cette fois après le scandale Enron (causé en grande partie par la collaboration active d’un régulateur mondialement connu, le cabiner d’audit Arthur Andersen), a eu pour conséquence visible 1. de décourager les entreprises honnêtes de rester cotées à New York en raison des dépenses causées par les nouvelles obligations, 2. De ne pas traiter du tout la régulation des sociétés financières, avec les conséquences qui en ont résulté.

Et les normes, dont on sait qu’elles sont un moyen considérable d’imposer une domination peu visible mais très profitables, peuvent aussi se retourner contre les géostratèges à courte vue ; les autorités américaines ont toujours été très laxistes sur les principes comptables, contribuant ainsi à encourager la « créativité » dans un domaine où elle n’a pas sa place. Cela a entraîné un long combat entre les comptables européens et leurs homologues américains, qui s’est terminé par la victoire des ces derniers, dans les emballements de la mondialisation et les complexes d’une Europe trop timide. Le résultat a été l’adoption générale, comme méthode de valorisation des actifs, de la valeur du marché. Quand les marchés sur lesquels devaient être coté les titres représentatifs, peu ou prou, des subprimes, ont fermé, la valeur du marché est devenue zéro. Selon le principe comptable européen il aurait suffit de déprécier le titre en proportion du risque réellement présent. Le résultat aurait été qu’au lieu de constater une perte de 100%, il aurait suffit de provisionner 5,10, voire 20 ou 30%, correspondant à la part réelle de subprimes dans le titre. Cela aurait évidemment fait une différence considérable dans l’évaluation de la crise et ses effets réels.

Le terrain des normes sera tout le temps un lieu d’affrontement entre puissances. Il est permis de s’interroger sur la common law, norme juridique au service des anglo-saxons, mais sans qu’elle puisse justifier d’un avantage technique compensant ses inconvénients par rapport au code. En particulier, et curieusement, c’est la vie des affaires qui en souffre (du côté du non-Anglo-Saxon bien entendu), sans que l’on sache toujours si les coûts entraînés par la common law sont dus à sa complexité intrinsèque ou à une manifestation du juridisme américain à l’entier bénéfice des cabinets d’avocats. Une chose est sure, elle favorise le protectionnisme des Etats-Unis intra-muros, en rendant possible une insécurité juridique réelle pour les concurrents étrangers.

Enfin, l’orgueilleuse devise « le dollar c’est notre monnaie et c’est votre problème » doit être remisée dans l’armoire des triomphes passés. Il n’est en effet plus possible de tout miser sur la croissance à attendre de la baisse des taux (d’autant que descendre en dessous des deux % actuels n’aurait probablement aucun effet sur l’activité), alors que l’inflation commence de rogner le pouvoir d’achat des ménages. Cela devrait, espérons-le, amener à une réflexion salutaire les nombreux ‘théoriciens’ qui désirent réformer la BCE.

9.7.08

Fonds souverain : ça en jette …

C’est sans doute ce qui a inspiré au Président Sarkozy cette impressionnante déclaration : "il n'y a aucune raison que la France n'ait pas de fonds souverain". En effet, du côté de Neuilly, que va-t-on penser dans le petit peuple bling-bling si le seul Neuilléen mondialement célèbre n’a pas son fonds souverain. Il y a cependant une petite difficulté, c’est qu’il y a une raison, et une raison très simple pour avoir ou ne pas avoir un fonds souverain, c’est une condition à laquelle la France ne satisfait pas actuellement : avoir quelques centaines de milliards d’euros à la recherche d’un placement.
Or, à notre connaissance, le seul domaine financier où on utilise la centaine de milliards comme unité de compte chez nous, c’est la dette. Et là, il faut arrêter tout de suite de rêver, ce serait une très mauvaise idée d’emprunter 100 milliards de plus pour constituer le fonds souverain du Président Sarkozy.
Il y a donc une raison pour que la France n’ait pas de fonds souverain ; pourquoi n’en informe-t-on pas le Président avant qu’il continue de dire des grosses bêtises ?

http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2008/07/03/01011-20080703FILWWW00423-sarkozy-veut-creer-un-fonds-souverain.php

7.7.08

La coopération, le G8 et la méthode Monnet

La coopération entre individus ou entre nations obéit aux mêmes lois : pour qu’elle fonctionne, il faut d’abord avoir des intérêts communs pour coopérer, il faut ensuite que les coopérateurs ne soient pas de puissance trop inégale, et il faut enfin que leur nombre soit limité. La nature humaine et la raison expliquent pourquoi ces trois lois s’imposent en matière de coopération. La première nous dit qu’il faut pouvoir retirer un bénéfice à partager pour supporter les inconvénients de la coopération : la seconde qu’une inégalité trop grande entre les coopérateurs fera craindre que les plus faibles tirent les marrons du feux pour le plus fort ; la troisième que le nombre des associés soit assez réduit pour que chacun puise garder un œil sur tous les autres.

Examinons d’abord les inconvénients de la coopération ; ils sont de deux ordres, celui de la perte d’indépendance, et donc de liberté et de souplesse, puisqu’il va falloir se mettre d’accord avec les autres avant d’agir, et celui du coût supplémentaire résultant du fonctionnement de l’association ; pour supporter ces deux ordres d’inconvénients, il va donc falloir que la coopération produise des bénéfices dont la part de chacun sera très supérieure à ce qu’il aurait pu produire seul. Ensuite, on conçoit que l’inégalité des conditions va créer des désaccords insolubles à cause de l’inégalité des besoins qui en résulte, divergence auquel le plus faible ne pourra pas durablement résister et va en souffrir sans compensation ; il faut donc rassembler des coopérateurs de force comparable, ayant des besoins du même ordre. Enfin, l’insécurité que fait naître l’association avec des étrangers qui vont être informés de vos affaires autant que vous serez informé des leurs, exige que leur nombre soit aussi limité que votre capacité de les suivre, voire de les surveiller, le nécessite.

Cette description peut s’appliquer à toutes les entreprises commerciales ou financières impliquant un petit nombre de coopérateurs, allant de deux à dix ou douze, la troisième loi ne permettant guère d’aller plus haut (c’est dire par exemple que les coopératives de 200 voire 2000 associés ne sont pas des coopérations). Et elle s’applique aussi aux coopérations internationales qui respectent scrupuleusement les trois lois, ainsi que l’on peut l’observer dans le cas du G8.

En effet, les huit chefs d’état ont un intérêt commun évident : entendre chacun d’entre eux dire aux autres son avis sur les problèmes du monde pour lesquels ils éprouvent tous un intérêt considérable ; et entendre cela en voyant son regard et son langage corporel est certainement d’un très grand prix. Ce club ne s’est constitué, en 1975, qu’après que les États-unis aient renoncé à la domination sans partage que leur conférait leur monnaie convertible en or, ce qui est une application de la seconde loi, car cela en faisait (presque) une nation comme les autres. Mais la troisième loi n’a cessé de s’appliquer avec la plus grande rigueur, bien que ce soit l’aspect du club qui choque le plus le reste de la planète, le G8 ayant acquis depuis trente ans la réputation d’un cercle protégeant son accès avec une rigueur faisant du jockey club une association d’un laxisme décadent. Il faut bien voir que le G8 n’a jamais refusé l’entrée d’un « grand pays industrialisé » sous entendu à leur niveau technologique, donc de développement, car les membres se réunissent pour régler leurs problèmes, pas ceux des autres. Nous sommes donc toujours parfaitement dans le cadre de la coopération et de ses trois lois.

Examinons maintenant comment tout cela se retrouve dans la méthode Monnet.
Jusqu’en 1972, les six respectent fidèlement les trois lois : les intérêts communs sont clairs et acceptés, les trois plus petits forment un ensemble économique respectable, qui fait des six un groupe de quatre, et le nombre d’associés ne rend pas les coûts fixes de l’association dissuasifs.
En 1973, l’entrée du Royaume-Uni et de l’Irlande ne perturbe pas trop les équilibres de la communauté. En 1981, l’entrée de la Grèce non plus.
En 1983, Mme Thatcher fait une grave entorse à la première loi : l’intérêt du Royaume-Uni passe avant celui de la communauté ; ceci amène à s’interroger la question de savoir si on avait abandonné la méthode Monnet à ce moment là.
En 1986, l’entrée de l’Espagne et du Portugal ne perturbe pas les équilibres de la communauté.
En 1995, l’entrée de l’Autriche, la Finlande et la Suède abaisse la moyenne des populations des membres ; on commence à augmenter les coûts fixes du fonctionnement de l’Union, mais comme ce sont trois pays développés et dynamiques, il y a probablement compensation.
Donc de 1958 à 2003, la coopération européenne est passée de 6 à 15 pays sans bouleverser les équilibres d’origine, à l’exception du Royaume-Uni qui depuis 1983 aura poursuivi et approfondi ses exceptions, ouvrant ainsi la porte à d’autres exceptions demandées par d’autres pays ; on quitte peu à peu le terrain de la coopération égalitaire puisque la première loi de la coopération ne s’applique plus qu’à une partie des membres. Le doute commence donc à s’installer, puisque seule l’application rigoureuse des trois lois fait qu’un groupe coopère ou pas. Dès ce moment, on entrevoit que l’élargissement (10 états en 2004 et 2 états en 2007), très dispersés en taille, en population et en richesse, va entraîner un bouleversement de la composition de l’Union et de son fonctionnement. On sort de la coopération fonctionnant naturellement et simplement avec ses trois lois, pour déboucher sur un monde inconnu dans lequel les règles précédentes sont inopérantes, comme le montrent les réactions d’abord des dirigeants puis des peuples des nouveaux membres qui utilisent brutalement, à la moindre occasion, des pouvoirs considérables que s’étaient conférés à l’origine les fondateurs comme preuve de leur affectio societatis et non comme arme absolue pour s’imposer au lieu de convaincre. La méthode Monnet et le compromis sont sortis du théâtre européen à ce moment là. Ce sera le sens des non français et hollandais.

Il nous reste à trouver une nouvelle méthode et l’homme qui lui donnera son non.

6.7.08

Le G8, la démocratie et la transparence.

Nous sommes à l’ère de la communication. Tout ce qui touche à la communication est réputé n’avoir que des aspects positifs (tant qu’elle respecte les derniers tabous de la société), ce qui donne une quasi priorité à tous les progrès techniques dont elle bénéficie.
Mais dès qu’il s’agit de diplomatie, la communication cesserait d’être respectable même si elle ne se cache pas, comme le G8, et devient même redoutable si elle recherche la discrétion comme la Trilatérale, le Groupe de Bilderberg, le club de Rome ou le Forum économique mondial. N’hésitons pas à dissocier le G8 des autres groupes qui ont davantage suscité la suspicion par l’obscurité de leur recrutement que pour toute autre raison. S’agissant du G8, tout ce qui le concerne est d’une parfaite clarté : son recrutement limité aux chefs d’état ou de gouvernement des grands pays industrialisés, la taille limite des pays admis qui est arbitraire mais connue, l’ordre du jour de ses réunions, son absence totale d’organisation et de moyens et donc de capacité d’action, et, s’agissant d’une réunion d’hommes détenant de grands pouvoirs chacun dans leur pays, l’absence totale de pouvoirs collectifs. Alors, quelle critique peut-on formuler à ce qui n’est en définitive, et en vérité qu’un groupe de réflexion informel ?
Il lui serait reproché de nombreux méfaits :

- le G8 se réunit sans mandat officiel ni droit de regard de leurs citoyens ; incompréhension trop énorme pour ne pas être voulue : un chef d’état à le droit de parler à un autre chef d’état, et même à plusieurs autres ; il peut le faire par écrit, par téléphone, ou en le ou les rencontrant ; il n’y a pas au monde une seule constitution ou traité international qui y fasse obstacle ; il n’est pas interdit de penser, au contraire, qu’il est très souhaitable que les chefs d’état parlent des problèmes auxquels ils sont confrontés, et, s’agissant de huit chefs des états ayant participé comme acteurs majeurs, et dans des camps opposés, à deux guerre mondiales et à une guerre froide, que cette opportunité leur a dans le passé gravement fait défaut ;
- ce serait un club fermé, péché véniel s’il en est, car par définition un club réuni des membres acceptant un objet commun ;
- ce club servirait d’abord les intérêts des pays membres, reproche étrange ; comment critiquer un dirigeant qui défend l’intérêt de son pays ?
- il produit un discours dominant, chose peut étonnante venant des grands pays industrialisés de la planète qui naturellement précèdent l’évolution technique du monde ; et vise à imposer ses normes, ce qui découle de ses orientations industrielles, et secondairement de la protection de ses intérêts ;
- l’élargissement aux ministres des Finances, des affaires étrangères, de la justice, de l’Intérieur, de l’environnement, de la Recherche, de l’emploi, du développement et aux gouverneurs des banques centrales, lui permettrait d’empiéter sur les compétences de l’ONU et de porter atteinte à sa crédibilité ; on peut aussi considérer que le filtrage opéré sur les dossiers concernant neuf départements ministériels permettra à l’ONU d’agir plus vite dans les domaine où sa compétence ne peut être remplacée :
- c’est la partie visible de la diplomatie informelle ; certes, la diplomatie pour être efficace ne peut négocier en public, mais le G8 n’est pas une instance ou l’on négocie, c’est un lieu où on analyse les problèmes, et c’est pour cela que l’ordre du jour en est connu et le résultat des rencontres aussi ;

Se rendant compte que toutes ces accusations n’ont pas grand poids, l’accusateur termine en général par le péché suprême :
le G8 n’est pas qu’un club de discussion et de concertation parmi beaucoup d’autres. Ne serait-ce que parce que ses membres possèdent respectivement plus de 40% et plus de 50% des droits de vote au sein de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, qu’ils représentent les deux tiers du PIB mondial et détiennent quatre des cinq sièges permanents au Conseil de sécurité.
Ce qui revient à découvrir à la fin d’un long réquisitoire que le club qui s’est présenté comme réunissant les plus grands pays industrialisés de la planète représente des droits de vote à la Banque Mondiale et au FMI proportionnels à leur part dans le capital, et que leur avance industrielle pèse d’un poids important dans le PIB mondial, et que l’histoire leur a donné la responsabilité de quatre sièges sur cinq au Conseil de Sécurité de l’ONU. Tout ceci ne permet guère de trouver un seul argument sérieux pour empêcher des chefs d’état de parler entre eux.

http://www.svizzera.attac.org/le-G8-et-le-systeme-international

5.7.08

La devise de référence du pétrole et l'Euro

Pour éclairer un peu la notion de devise de référence du pétrole, je suggère une approche par la compétitivité.
Le prix mondial du pétrole étant exprimé en dollars, ses variations dans chaque économie dépendent des variations de la devise locale par rapport au dollar. On a donc une échelle des augmentations réelles du coût du pétrole qui s’échelonnent ainsi :
- quand la valeur de devise locale augmente le plus par rapport au dollar, la variation du coût est minimale (cas de l’Euro), d’où une compétitivité améliorée envers le reste du monde
- quand la valeur de la devise locale augmente un peu par rapport au dollar, la variation du coût est inférieure à celle du dollar, mais supérieure à celle de l’Euro, d’où une compétitivité améliorée par rapport aux États-unis, mais dégradée par rapport à l’UE
- quand la valeur de la devise locale suit le dollar, la variation du coût est égale à celle du dollar, d’où une compétitivité dégradée par rapport à l’UE et à la Chine
- quand la valeur de la devise locale diminue par rapport au dollar, la variation de coût est maximale (cas de certains pays en développement) par rapport au reste du monde.

Pour être complet, cette échelle devrait faire aussi référence aux autres grandes monnaies (Livre sterling, Franc Suisse et Yen), mais l’idée est la même, c'est-à-dire que l’expression en dollar du prix du pétrole ne reflète pas la réalité des conséquences économiques des variations de son prix officiel.
Bien entendu, si le prix mondial du pétrole était exprimé en une autre devise, les conséquences réelles de ses variations sur les économies locales ne changeraient pas.

Cette analyse montre des évidences, dont l’une est souvent oubliée quand on parle de l’Euro « fort » : non seulement il nous apporte un avantage compétitif dans notre propre consommation de pétrole, mais il nous donne GRATUITEMENT un second avantage compétitif en détériorant la compétitivité des tous les autres pays. Incidemment, ce privilège léonin était auparavant celui sur lequel s’est bâti la puissance américaine.
La conséquence la plus facile à prévoir est que nos amis Chinois vont trouver dans ce mécanisme irrésistible la vraie justification, et probablement la nécessité, de l’augmentation progressive de la valeur du Yuan.

3.7.08

La Justice, l’Humour et la Raison

Dans le Washington Post du 1er juillet on peut lire un petit fait divers juridique qui rafraîchit quand on est un peu fatigué par le juridisme caricatural des États-unis.
L’affaire se déroule à la cour d’appel du District de Columbia ; un chinois Ouïghour, membre d’un mouvement séparatiste, avait quitté la Chine en May 2001 pour échapper aux persécutions, et vivait depuis dans un camp en Afghanistan. Après un bombardement aérien, il s’enfuit avec d’autres réfugiés Ouïghours au Pakistan oû ils furent ensuite remis aux autorités américaines.
Le tribunal qui l’avait condamné avait reconnu qu’il n’avait pas été hostile envers les États-unis ou leurs alliés, mais avait néanmoins conclu qu’il était un ennemi combattant parce qu’il vivant dans un camp Afghan connu pour être dirigé par le leader d’un groupe lié à Al-Qaïda et aux Talibans. Outre que cette affirmation n’était supportée que par une preuve dont on ignorait l’origine et le raisonnement qu’elle justifiait, les juges furent particulièrement intéressés par les assertions du gouvernement selon lesquelles on pouvait s’appuyer sur cette preuve parce qu’elle était répétée dans plusieurs documents et que des officiels n’y auraient pas inséré cette information si elle n’était pas sûre.
« Malgré Lewis Carroll, le fait que le gouvernement l’ait dit trois fois ne rend pas une allégation véridique », écrivit le juge, citant le poème « The Hunting of the Snark ».

N’est-il pas merveilleux que Lewis Carroll soit ainsi associé à la libération d’un Chinois que les bouleversements d’un monde troublé ont amené dans les geôles de la seule puissance plus redoutable que le pays dont il voulait échapper, et cela par la force immense d’un vers de 8 mots ?

Vers que voici :

What I tell you three times is true.
Lewis Carroll 1832-98: The Hunting of the Snark (1876)
Little Oxford Dictionary of Quotations