7.5.08

Qu’est-ce que la spéculation sur les matières premières ?

La fonction des marchés à terme de matières premières (c'est-à-dire de produits récoltés ou extraits) est de permettre à ceux qui les produisent (agriculteurs et entreprises minières) de s’assurer un prix de vente certain, et à ceux qui les consomment (le secteur agroalimentaire et l’industrie métallurgique et autres consommateurs de métaux) de s’assurer un prix d’achat certain.
On dit qu’il s’agit d’un marché à terme, parce que les transactions portent sur des biens qui n’existent pas encore, mais qui seront disponibles, après récolte ou fabrication, à une certaine échéance.
Prenons l’exemple du Blé sur le marché de Londres. C’est là que se négocie le blé européen dont la récolte annuelle est de l’ordre de 125 millions de tonnes, en deux qualités, le blé meunier et le blé fourrager. Les échéances annuelles sont les suivantes : janvier, mars, mai, juillet et novembre, et le marché cote le blé sur 8 échéances, c'est-à-dire qu’aujourd’hui on peut faire des transactions aux échéances de mai 2008, juillet, novembre, janvier 2009, mars, mai, juillet et novembre.
L’unité de transaction s’appelle un contrat et porte sur 50 tonnes. Pour un cours de 200€ la tonne, un contrat représente donc 10000€ ; il faudra, pour être admis à le souscrire, faire un dépôt de garantie de 10% ou davantage. Chaque jour la bourse calcule l’effet de la variation des cours sur votre contrat, et vous réclame un supplément de garantie (l’appel de marge), ou vous verse un bénéfice provisoire.
Le vendredi 25 avril 2008, il y a eu 3737 contrats négociés sur le blé meunier, amenant l’encours total à 73390 contrats, représentants 3,7 millions de tonnes de blé meunier, à quoi on peut ajouter 0.6 millions de tonnes de blé fourrager, soit 4.3 millions de tonnes sur une production annuelle de l’Europe de 125 millions de tonnes. A noter que 3.4 millions de tonnes sur les 4.3, soit 80%, portent sur une seule échéance, celle de novembre 2008.
On admettra aisément que sur cette quantité modeste à l’échelle de l’Europe, un partie non négligeable concerne les agriculteurs (en fait des coopératives spécialisées) cédant leur production à des industriels de l’alimentaire qui en auront besoin de manière certaine.
Alors quelle est la part de la spéculation sur le marché du blé européen ?
On vient de voir l’utilisation du marché à terme par les acteurs pour lesquels le terme a des conséquences concrètes ; ils veulent réellement céder physiquement les produits pour les uns et les faire rentrer dans leurs usines pour les autres, à la même date.
Maintenant appliquons les règles des marchés à terme à la description de la spéculation faite plus haut : « il suffit d’acquérir de grandes quantités de titres ». Il y a deux cas à considérer : soit la récolte future n’est pas encore vendue, soit elle est déjà vendue. Dans le premier cas, le spéculateur est certain de pouvoir livrer le blé à l’échéance, il a simplement créé une demande solvable qui n’existait pas, et s’il en apparaît une autre il pourra sans doute lui vendre avec profit. Cependant, si elle n’apparaissait pas, ou si elle apparaissait à un prix inférieur à ce qu’il souhaite, il perdra de l’argent, et si elle n’apparaît pas, il se retrouvera avec des tonnes de blé qu’il faut liquider dans un entrepôt qu’il faudra payer. Dans le deuxième cas, il doit trouver une contrepartie à son achat, et en l’absence de producteur, il va trouver un spéculateur jouant sur la baisse des cours. Et il ne pourra gagner qu’en vendant à un autre spéculateur jouant sur une hausse des cours encore plus forte que celle sur laquelle il a lui-même spéculé, et il faut le trouver avant l’échéance.
Tout cela est possible, mais associé à de grands risques. C’est quoi les grandes quantités ? Un millième de la production mondiale (600000 tonnes) demande un dépôt de garantie de 12 millions € (*) avec un risque supérieur.
Le véritable problème se situe sur les points faibles exploités par les spéculateurs, et non par la vente à terme elle-même :
- l’effet de levier offert par des dépôts de garantie insuffisants ; lse bourses le connaissent bien puisqu’en cas de variation trop rapide des cours elles les augmentent comme l’a fait récemment la bourse de Chicago, sur le blé ;
- la spéculation à la baisse des actions rendues possibles par le prêt de titres fait par des détenteurs institutionnels (assurances, fonds de pension, etc.)
- le prêt d’or fait par des banques centrales permettant à des mines de pratiquer des ventes à découvert qui ont bouleversé le marché de l’or pendant des années.
- les prêts consentis aux hedge-funds pour fabriquer des effets de levier astronomiques

(*) Le chiffre de 12 millions fixait l’ordre de grandeur des capitaux nécessaires et des risques relatifs. Il permet de se rendre compte des montants en jeux dans la spéculation sur le blé sur marché de Londres dont on a vu plus haut que l’en-cours s’élevait à 4.3 millions de tonnes ; les capitaux mobilisés s’élèvent à 86 millions à la date du 25 avril, montant qui ne semble pas de nature à attirer tous les Jérôme Kerviel de la terre.
Je reste donc convaincu que les prix actuels n’auraient pas connu les variations que l’on a constatées si la demande ne s’était pas significativement accrue, ce qu'elle a fait.

Aucun commentaire: