16.7.08

Partageons la réalité, pas la statistique

On se doute bien que tenir une comptabilité ce n’est pas simple, et quand il s’agit de la comptabilité d’une nation, cela peut devenir franchement compliqué. C’est la tâche qui a été confiée à l’Insee qui devrait, selon certains, non seulement tenir les comptes du pays et les perfectionner si nécessaire, mais aussi produire des chiffres qui leur plaisent. Là, les statisticiens coincent un peu, car ce qu’ils aiment c’est bien faire des statistiques, et si, à l’occasion, ça fait plaisir à quelqu’un, tant mieux.

Ces derniers temps, les clients de l’Insee ont exprimé leur mécontentement à plusieurs reprises ; d’abord sur l’indice servant à revaloriser les loyers, afin de faire un truc simple, un indice qui augmenterait très peu les loyer tout en encourageant les propriétaires à investir dans les logements ; puis sur l’indice mesurant les variations de prix des produits qui tenait compte de tout un tas de produits qui n’augmentent pas, et même qui baissent, et ceux qui baissent, ils n’en achètent que très rarement ; il fallait donc faire un indice utile avec peu d’articles mais qui augmentent beaucoup, et si possible pas chez Leclerc, parce que c’est un copain.
Et cela ne va pas s’arrêter là, et cette fois c’est probablement moi qui ne vais pas être content. Voici l’enjeu : le partage de la valeur créée par les 25 millions de nos concitoyens qui bossent.
C’est un sujet qui n’a jamais vraiment intéressé les théoriciens de la comptabilité nationale, et quand on lui pose la question, l’Insee répond poliment que tous les chiffres nécessaires sont à notre disposition dans leurs publications, y compris un tableau abordant ce sujet. Nous y voilà ; le tableau en question intitulé « Partage de la valeur ajoutée à prix courants »
http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?ref_id=NATTEF08103&reg_id=0

A partir de ce tableau, s’est développée l’invention d’un changement tendanciel du partage de la valeur en faveur du capital et au détriment des salaires, et d’une ampleur considérable, de l’ordre de 10%, ce qui, en valeur, représenterait plus de 100 milliards d’euros. Un universitaire, Denis Clerc, a entrepris de contredire cette analyse avec une argumentation portant sur les données utilisées et leur interprétation. Sa propre analyse concluait que sur des périodes comparables, cette variation du partage n’était pas avérée.

N’étant pas un spécialiste, je ne prends pas position sur l’issue de ce débat, issue qui nécessite l’intervention des experts. Je demande cependant à l’Insee de compléter le tableau sur le partage d’une analyse de l’excédent brut d’exploitation, en particulier le fait qu’il est constitué à concurrence de 37% des loyers dont les « loyers implicites » c'est-à-dire les loyers que ne payent pas les 55% de Français propriétaires (et qui représentent de l’ordre de 100 milliards d’euros) ; il y aurait lieu aussi de s’interroger sur la diminution des revenus mixtes (entreprises individuelles) entre 1990 et 2006, qui résulte certainement en grande partie de la destruction du commerce de proximité par les grandes surface qui ont capté leur revenu. Voilà donc deux raisons qui expliquent l’évolution de l’excédent brut d’exploitation alors qu’elles sont sans influence sur les salaires : l’incorporation à l’excédent brut d’exploitation des loyers fictifs des ménages propriétaires, et la disparition des commerces de proximités dont les revenus ont été captés par la grande distribution.

Cependant, je crois qu’il existe dans la réalité, de toute façon et quel que soit le résultat du débat, un véritable problème de partage de la valeur créée, et que l’Insee pourrait nous aider à l’analyser.

En effet, comparer la masse des salaires à la masse des revenus du capital ne nous éclaire pas sur ce qui se passe à l’intérieur de la masse des salaires au niveau des individus qui reçoivent ces salaires ; par exemple, ajouter des temps partiels payés au smic ne constituerait pas un objectif souhaitable, même si cela améliorait les apparences du partage. Par ailleurs, l’élévation de la qualification concrétisée par la croissance de la population des cadres aurait dû augmenter la rémunération moyenne, indépendamment de la notion de partage, car une population plus qualifiée ne détériore pas, normalement, la productivité du capital, au contraire. Enfin, il y a les phénomènes spectaculaires mais probablement sans incidence notable sur les statistiques, les salaires de PDG, de footballeurs et autres stars sportives, ou médiatiques, qu’il faudrait au moins mentionner, ne serait-ce que pour conclure à leur invisibilité statistique.

Définitions utiles à la compréhension du tableau de l’Insee
L'excédent brut d'exploitation est le solde du compte d'exploitation, pour les sociétés. Il est égal à la valeur ajoutée, diminuée de la rémunération des salariés, des autres impôts sur la production et augmentée des subventions d'exploitation.Pour les entreprises individuelles, le solde du compte d'exploitation est le revenu mixte.L'excédent d'exploitation peut être calculé net, si l'on retranche la consommation de capital fixe.
Revenu mixte : Solde du compte d'exploitation pour les entreprises individuelles. Il contient deux éléments indissociables : la rémunération du travail effectué par le propriétaire et éventuellement les membres de sa famille, et son profit en tant qu'entrepreneur.
La formation brute de capital fixe (FBCF) est constituée par les acquisitions moins cessions d'actifs fixes réalisées par les producteurs résidents.Les actifs fixes sont les actifs corporels ou incorporels issus de processus de production et utilisés de façon répétée ou continue dans d'autres processus de production pendant au moins un an.
Valeur ajoutée : Solde du compte de production. Elle est égale à la valeur de la production diminuée de la consommation intermédiaire

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