25.6.08

LA DETTE, MONSIEUR GUAINO ET QUELQUES AUTRES

Régulièrement une école (très buissonnière) de pensée économique relance une thèse sur l’innocuité de la dette défendue en son temps par M. Henri Guaino et qui ressemble tellement à celle de M. Fitoussi que l’on peut dire que c’est la même; il y a donc lieu de s’en préoccuper en raison de l’autorité de M. Fitoussi dans l’économie académique parisienne.

Je serais évidemment ravi que la dette publique soit indolore pour les citoyens, et qu’il soit possible de la faire croître indéfiniment sans que l’on souffre de la croissance parallèle de la charge annuelle d’intérêts.Mais les arguments présentés pour défendre cette thèse sont fragiles, voire douteux. Les voici :
- la France n’est pas plus endettée que les autres pays, elle l’est même souvent moins ;
- dans le bilan de l’État, la dette est compensée par des actifs suffisants ;
- dans le bilan de la France, la dette de l’État est compensée par les économies des Français :
- l’emprunt est utile quand il finance des investissements ;
- la partie de la charge annuelle des intérêts payée à l’étranger est compensée par les intérêts perçus sur les placements français à l’étranger.

Tout d’abord, il y a lieu de se réjouir qu’il soit fait référence aux bilans de l’État et de la France, source évidente d’un raisonnement comptable, schéma intellectuel que l’on nous avait jusqu’ici décrit comme la plus barbare des stupidités.
Tentons ensuite de répondre à ces cinq impressionnants arguments.
1. En quoi dois-je être satisfait de ce que la France ne soit pas plus endettée que les autres pays ? Je constate que la dette est la cause de la charge des intérêts de la dette qui n’est pas pour rien dans le déficit « récurrent » comme dit Henri Guaino, puisqu’à eux seuls ils égalent ce déficit. Et le déficit présente deux inconvénients, il provoque une augmentation de la dette, et donc des intérêts de l’année suivante, ainsi qu’un mécontentement grandissant de l’UE qui nous reproche à juste titre de ne pas tenir nos engagement (ce n’est donc pas la faute de l’UE, mais celle de ceux qui ont pris des engagements intenables).
2. Dans son rapport sur la certification des comptes de l’État, la Cour des comptes porte un jugement dans les termes suivants :"Le bilan économique de l’État doit permettre d’évaluer sa situation patrimoniale et le financement de ses activités à partir du tableau de la situation nette. Au 31 décembre 2007, il peut se résumer en un « actif économique » de 386 Md€, avec un endettement net de 1 042 Md€ et une situation nette négative de 656 Md€. Celle-ci, qui se dégrade de 63,2 Md€ par rapport à 2006, met en évidence le poids de l’endettement net face à l’actif économique et montre les limites d’une politique de désendettement circonscrite aux cessions d’actifs. »La cour ne mentionne pas l’épargne des Français comme un actif de l’État, il est donc parfaitement fallacieux de la faire intervenir dans ce débat. L’État devra donc trouver les ressources ailleurs que dans son bilan pour faire face à la charge de la dette, et ce sera forcément soit dans l’impôt, soit par l’emprunt, et ceci sera vrai demain comme cela l’est aujourd’hui.
3. Il n’existe pas un bilan de la France qui amalgamerait les dettes de l’État et l’épargne des Français. Les créanciers de l’État ne peuvent présenter leurs titres aux particuliers pour en demander le remboursement. Il est donc très audacieux de prétendre que « la dette de l’État est compensée par les économies des Français », à moins que l’on ne veuille user de cette métaphore pour illustrer qu’à un moment où à un autre la charge de la dette retombera directement sur les contribuables disposant de l’épargne nécessaire.
4. Nous sommes bien d’accord que l’emprunt est utile quand il finance des dépenses d’investissement productif ; le problème depuis 25 ans, c’est que nous n’avons pas financé des investissements avec l’emprunt, mais surtout les déficits de fonctionnement, qui évidemment ne génèrent pas de recettes ultérieures comme le font les investissements productifs. Alors les acrobates de la dette se disent qu’il suffirait de coller sur des dépenses de fonctionnement le miraculeux label « investissement » pour trancher le nœud gordien. Et d’ajouter que la comptabilité commerciale a de ces audaces. A ce point, il convient de rappeler que les principes comptables associent au label « investissement » certes le privilège de ne pas être pris en charge lors de l’acquisition, mais aussi, et corrélativement, l’obligation d’amortissement, c'est-à-dire de prendre en charge annuellement une fraction proportionnelle à sa durée de vie. De telle sorte que si vous décidez de traiter comme un investissement des dépenses récurrentes comme l’éducation, que l’on amortirait sur 20 ans, on arriverait en régime de croisière à investir chaque année la valeur X du budget de l’éducation et à amortir 1/20° de X multiplié par 20 soit X. C’est pour cette raison que l’on ne considère comme investissement que des dépenses productives et non récurrentes, toutes les dépenses qui se renouvellent chaque années devant naturellement trouver des financement récurrents chaque année aussi.
5. La question de la charge des intérêts est particulièrement importante pour les contribuables, et la description faite par Fitoussi and Co particulièrement mensongère. Chaque année 60% des 40 milliards d’Euros d’intérêts sont payés par le Trésor aux créanciers étrangers de l’État qui le plus souvent est obligé de les emprunter, alors que les revenus des placements étrangers de Français ne sont pas encaissés par le Trésor. Les intérêts seront donc finalement à la charge des contribuables, et pas à la charge de ceux qui les ont touché. Donc les contribuables supporteront la totalité de la charge des intérêts, aussi bien ceux payés en France que ceux payés à l’étranger. Comment peut-on prétendre que c’est sans aucune importance ?

Ci-dessous quelques remarques de la Cour des comptes

Flux de trésorerie liés aux opérations d’investissementL’exercice 2008 sera marqué, au contraire, par le franchissement du seuil de 100 Md€ de remboursement annuel de dette (103,8 Md€ prévus en 2008 et 2009), niveau jamais atteint dans le passé. Compte tenu du déficit budgétaire prévisionnel (41,7 Md€), le besoin de financement de l’Etat atteindra près de 145 Md€, en augmentation de 40 % en un an.…

L’augmentation de 2007 s’est accompagnée d’évolutions significatives dans la structure de la dette. Tandis que les conditions d’émission d’un volume élevé d’emprunts à plus d’un an se dégradaient, l’Etat a eu recours à des modalités de financement potentiellement plus coûteuses. Les emprunts à moins d’un an représentent 8,5 % de l’encours de la dette négociable fin 2007 (7,6 % fin 2006) ; alors que leur encours avait été réduit de 29 Md€ en 2006, il a augmenté de 12 Md€ en 2007. La part du financement de court terme devrait encore croître en 2008, aggravant l’exposition de la dette au risque de hausse des taux d’intérêt. Par ailleurs, la part de la dette indexée dans l’encours de la dette moyen et long terme est passée de 13,6 % à 15,7 % en 2007 ; l’encours des emprunts indexés s’élève désormais à 132 Md€.
Si les taux d’intérêt servis sur les emprunts indexés sont moins élevés que sur la dette non indexée, de 2 % environ en moyenne, l’indexation sur l’évolution des prix à la consommation du capital d’une trop grande partie de la dette pourrait s’avérer coûteuse pour l’Etat si lesindices continuaient de remonter fortement.

…le déséquilibre du bilan de l’Etat, qui se traduit par une situation nette négative. Celle-ci résulte cependant aussi de l’accumulation continue de déficits pendant une longue période.…Ces évolutions traduisent à la fois une dégradation de la situation financière de l’Etat (le déficit patrimonial de 2007 représente les deux tiers environ de la dégradation de la situation nette)

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