28.12.08

La réforme de la régulation financière

Dans notre billet du 15 novembre (Qu’entend-on par excès de régulation ?) nous avions déjà exprimé une légère irritation devant l’attitude du monde de la banque envers cette question. Six semaines après la situation est la suivante :
- du coté des banquiers on nous dit qu’il faut que la réforme assure le développement futur des activités financières, après nous avoir demandé de reconnaître l’utilité sociale d’un système financier qui a permis a des millions de pauvres d’accéder à la propriété de leur logement ;
- du coté des Américains on constate une immense levée de boucliers contre la finance en général et la new-yorkaise en particulier, ses pratiques, ses comportement, sa collusion avec le pouvoir et les institutions chargées de la régulation.

Faut-il assurer le développement futur des activités financières ?
Quelle est l’utilité économique des activités financières consistant à inventer des objets financiers utiles seulement au monde financier ? Et si on répond à cela que tout métier a besoin de nouveaux outils, ce qui est vrai, aucun métier ne prétend faire courir au monde un risque de crise économique en testant un nouveau tournevis. Pratiquement, il va falloir démontrer que l’affirmation de P. Krugman[1]
« Récemment, le secteur financier a représenté 8% du PIB de l’Amérique, en augmentation par rapport aux 5% la génération précédente. Si ce supplément de 3% fut jeté par les fenêtres, et probablement il le fut, nous parlons d’environ 800 milliards de dollars par année de gâchis, fraudes et abus. »
n’est pas toujours vraie, et que les innovations financières peuvent avoir un effet bénéfique sur l’économie normale, et pas seulement sur l’économie financière, et cela sans pratiquer les fraudes, abus et autres gâchis qui lui sont reprochés.

Les bienfaits de l’accession des plus pauvres à la propriété[2]
Selon le témoignage du G.A.O. devant le Sénat américain le 4 décembre 2008[3], l’entrée dans les procédures de défaut de payement et de vente forcée des logements est passée de 150000 au second trimestre 2005 à 500000 au même trimestre de 2008, avec la perspective d’augmenter fortement dans les deux prochaines années. De même, les dossiers de surendettement ont très fortement augmenté durant cette période, sans que l’offensive de la Finance soit parvenue à les contenir, si on lui fait la grâce de supposer qu’elle aurait pu en avoir l’intention.

Que peut-on attendre sérieusement d’une réforme de la régulation ?
La régulation est indispensable aux professionnels honnêtes travaillant dans un système complexe. Elle existe, se perfectionne continuellement, et doit continuer de le faire. Elle n’a causé la crise, ni par les règles existantes, ni par l’absence de celles qu’il lui faut encore concevoir pour répondre à tous les besoins. La crise a été causée par des hommes au moyen d’une idéologie (la dérégulation) exploitée avec une indiscutable perversité en confiant les principales fonctions d’une régulation nationale à ses adversaires. La régulation étant sans pouvoir sur le choix des hommes, on ne pouvait en attendre la prévention de la crise actuelle.
Sur un plan différent, mais dans le même ordre d’idée, les agences de notation produisent, bien ou mal, des notes ; l’usage qui en est fait ne dépend de l’agence que si elle est complice d’une intention, ce qui ne peut être généralisé mais a évidemment été le cas dans la titrisation ; là aussi le problème n’est ni l’agence, ni la note, mais les hommes qui s’en servent, ou qui acceptent aveuglément leurs auspices.
Par contre, il y a deux sujets que la régulation peut prendre en main : le risque systémique visant à déclencher l’alerte bien avant l’explosion, ce que le suivi des capitaux propres, des risques et de la liquidité par établissement ne permet pas actuellement de faire, et la protection des systèmes financiers régionaux. Sur ce dernier point, de même qu’il existe des normes et contrôles sanitaires entre les régions du monde, il pourrait être mis en place des normes et contrôles de la toxicité des produits financiers, afin que les errements idéologiques d’un gouvernement ne puissent polluer les systèmes financiers régionaux comme la zone Euro.

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[1]In recent years the finance sector accounted for 8 percent of America’s G.D.P., up from less than 5 percent a generation earlier. If that extra 3 percent was money for nothing — and it probably was — we’re talking about $400 billion a year in waste, fraud and abuse.
Paul Krugman in Op-Ed Columnist - The Madoff Economy - NYTimes.com

[2]9.2 million [personal] bankruptcies in the past seven years. Is this a serious problem? That’s about 5% of working age Americans. Presently about 1.2% of working age Americans are filing [for bankruptcy] each year.
Noni Mausa in Angry Bear: Who has “bad credit” when a million Americans file for bankruptcy?

[3] http://www.gao.gov/new.items/d09231t.pdf

On va dire …

Que veut-on dire quand on dit « on va dire … » ?
On peut supposer que ce que l’on va dire n’est pas ce que l’on voudrait vraiment dire, mais pour quoi on ne trouve pas les mots appropriés. Mais alors, si on n’a pas encore trouvé les mots pour le dire, pourquoi en parler maintenant ? Il y a sans doute urgence d’en parler (pour tout un tas de raisons possibles tenant plus aux apparences qu’à la progression du savoir humain), accompagnée d’un fort risque de n’être pas compris ou d’être mal interprété, d’où la nécessité de faire précéder ce mot ou cette expression d’un bouclier qui permettra, contre toute attaque, de nier avoir exprimé par des mots le plus souvent ordinaires une opinion jugée, par la coterie à laquelle l’orateur appartient, politiquement incorrecte.
On peut aussi supposer que cela permet aux plus futés de la coterie de dire, sans se priver le moins du monde, tout ce qu’ils pensent vraiment de tout et de tout le monde, en le faisant simplement précéder de la formule absolutoire.
Enfin, il n’est pas exclu, quand on observe le succès populaire de la formule, qu’il manifeste une de ces petites insolences dont le peuple se régale à peu de frais par un sous entendu : « On va dire, comme l’intelligentsia parisienne, … » .

23.12.08

La Commission, la concurrence et l’électricité.

Comme chacun devrait le deviner, ce qui est difficile avec l’électricité, c’est de la produire, de la produire quand on en a besoin car on ne peut la stocker, et quand on l’a produite c’est de la rendre disponible à tout moment et à tous les endroits du territoire où les habitants peuvent en avoir besoin. Ce n’est pas l’avis de la Commission ; pour elle ce qui est difficile, et mérite protection, c’est de la facturer. Rien n’est donc plus important et urgent, en matière d’énergie[1], que de garantir à toute personne capable de faire des factures l’usage gracieux d’un réseau de distribution qu’il a fallu un demi siècle pour construire, et la production d’électricité d’une capacité nécessitant une maîtrise industrielle hors paire, à un prix lui permettant de vendre au même tarif que le producteur.
C’est ce qu’elle fait au Royaume-Uni, après l’avoir fait en Europe continentale, sur l’électricité et d’une manière générale pour tous les services publiques lourds en investissements. Mais avec l’électricité, service public fondamental pour les ménages et pour l’économie, et qui nécessite donc une modération tarifaire rigoureuse (comme le démontraient les tarifs français inférieurs à la moyenne européenne avant la réforme bruxelloise) on atteint les limites d’une idéologie. Cette destruction délibérée de ce qui constituait une motivation essentielle des investissements lourds (permettre une exploitation rentable de longue durée), représentation concrète de la valeur d’une entreprise industrielle, rendra très difficile les prochaines décisions d’investissement lourds ; le pire sera un financement d’état et une exploitation privée, détournement prévisible de la valeur ajoutée de l’investissement.

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[1] Comme si l’U.E. n’avait pas de problème énergétique plus urgent que de compliquer le seul domaine énergétique qu’elle maîtrise, alors qu’elle est dépendante du reste du monde pour tous les autres, ce à quoi la Commission ne semble pas se passionner, et que la Commissaire à la Concurrence ignore superbement.

22.12.08

Le mythe des modèles mathématiques

C’est curieux, le seul tort que veulent bien reconnaître les banquiers c’est de ne pas avoir compris les applications mathématiques sophistiquées qu’ils croyaient indispensables au développement de leurs activités et de leurs profits. Comme la plupart des gens n’ont qu’une sympathie très limitée pour les mathématiques, ils y voient une circonstance atténuant la responsabilité des grands patrons des banques. Malheureusement c’est faux ; il y a certes des applications mathématiques complexes utiles dans certains domaines, comme les options ou les warrants, mais le niveau de mathématiques nécessaire pour établir l’échéancier d’un crédit immobilier, serait-il à des conditions insensées comme les « subprimes option ARM », ne dépasse pas le niveau de la classe de première.
Or, l’étape actuelle de la crise financière est principalement causée par les prêts immobiliers, et les mathématiques n’y sont pour rien. En effet, on s’aperçoit progressivement que, pour faire apparaître de très juteux profits sur des prêts consentis à des foyers aux ressources insuffisantes pour faire face aux remboursements, il doit y avoir un truc. Le truc c’est d’utiliser un artifice comptable qui n’a pas été conçu pour un usage manifestement abusif : la comptabilisation, le jour de la signature du contrat, de la totalité du profit attendu sur toute la durée du contrat, souvent trente ans.
Alors, on peut supposer que certains de ces responsables de grandes banques sont d’un niveau de nullité qui leur permettait de ne pas découvrir cela, mais constatant que le Directeur de la Banque de France non seulement le sait, mais s’en inquiète[1], on est forcé de se demander si ce mythe des modèles mathématiques, dissimulation aux effets peu durables, ne révèle pas de profondes inquiétudes.

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[1] http://www.banque-france.fr/fr/instit/telechar/discours/2008/disc20081211.pdf

20.12.08

Les activités pour compte propre des banques

Pour ceux qui s’intéressent à l’opinion des Américains sur la crise et la finance, le blog « Quoting the Crisis » est une source prolifique de références. Hier il nous a amené une citation de Paul Krugman, extraite de son billet du NYTimes[1] : « Au cours des dernières année le secteur financier a représenté 8% du PNB américain, au lieu de moins de 5% précédemment. Si ce supplément de 3% n’a servi à rien – et c’est probablement le cas – on parle d’environ 400 Milliards de $ par an de gaspillage, tromperie et pratiques abusives. »
Il faut l’autorité d’un prix Nobel pour oser une telle accusation, mais maintenant qu’il a ouvert le débat, on aurait tort de ne pas le poursuivre. Et cela d’autant plus que cette accusation va à contre courant du discours fréquent nous alertant sur l’impérieuse nécessité de ne pas freiner l’expansion de la création financière si profitable à l’économie (paraîtrait-il, ce que ne croit apparemment Paul Krugman), et que ne manquerait pas de causer tout renforcement de la régulation.
On nous a expliqué à juste titre que la finance jouait un rôle irremplaçable dans l’économie, et qu’il était donc de l’intérêt général d’empêcher les banques de faire faillite. Ce point n’étant pas contesté, il en résulte un statut de quasi service public justifiant les soutiens qui leur sont accordés, voire imposés, jusqu’à la nationalisation si nécessaire. A partir de là l’intérêt général implique que la mission du système bancaire soit légèrement redéfinie, l’intérêt de la corporation financière devrait-il, non moins légèrement, souffrir de sa soumission à l’intérêt général.
Dans l’absence de statistiques solides, les informations dont on dispose permettent cependant d’affirmer que les activités pour compte propre des banques on soit été la cause de pertes considérables causées par une organisation insuffisante ou par une sous estimation des risques pris, soit généré des profits pour le moins discutables par trahison des intérêts de leurs propres clients, c'est-à-dire exactement les gaspillages, tromperie et pratiques abusives dont parle Paul Krugman. Rien ne devrait donc s’opposer à l’obligation de sortir les activités pour compte propre du statut bancaire ; si les actionnaires des banques veulent les poursuivre, libre à eux de constituer, hors du capital de la banque et de ses services, toute entreprise adaptée à cette activité, mais non susceptible de mettre en péril une banque.
A ceux que choquerait une telle mesure, demandons ce qu’ils penseraient si on autorisait d’autres corporations à entretenir aux frais de l’économie réelle une activité pour compte propre ; par exemple si les professions de santé s’organisaient pour qu’un étage de tous les hôpitaux se consacre uniquement aux personnels de santé ; s’y concentrerait l’élite du corps médical pour soigner le corps médical au moyen des techniques, matériels et molécules de dernier cri, le tout au frais de l’économie générale.
[1] http://www.nytimes.com/2008/12/19/opinion/19krugman.html?_r=3&em
« […]In recent years the finance sector accounted for 8 percent of America’s G.D.P., up from less than 5 percent a generation earlier. If that extra 3 percent was money for nothing — and it probably was — we’re talking about $400 billion a year in waste, fraud and abuse. […]”

17.12.08

Faut pas s’embêter avec les détails …

A la quatrième place de la liste des 10 meilleures citations de 2008 du Yale book of quotations, on trouve cette étonnante réponse du porte-parole du Treasury Department à qui on demandait d’expliquer comment avait été fixé le montant de 700 milliards de dollars du programme initial de secours à l’économie : Ce n’est pas basé sur des données particulières, on voulait juste choisir un nombre vraiment grand.

Quand on vous dit que la haute finance c’est très, très, très, très, très, très, compliqué …
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http://www.nydailynews.com/news/2008/12/15/2008-12-15_top_ten_quotes_of_2008.html

16.12.08

La confiance pose-t-elle plus de problèmes qu’elle n’est supposée en résoudre ?

On nous a beaucoup parlé de la confiance comme une vertu qui apporte aux sociétés qui la pratiquent le succès et le bonheur. Et certain avaient si bien gobé cet hameçon qu’il y a même eu des livres qui décrivaient la confiance comme une condition indispensable à la réussite économique, c'est-à-dire à la croissance du PIB, aux dividendes, et, pourquoi pas, au bonus (voir notre article du 5 Août 2008 De la confiance, en gros et en détail).
Malheureusement la confiance n’est pas une vertu, c’est un sentiment qui peut soutenir l’exercice de véritables vertus comme la franchise ou la générosité, mais en aucun cas suffire à l’action, de même qu’il ne faut pas agir sous l’empire de la haine ou de la jalousie. Lorsque ce point important est admis, peut-on répondre à la question posée en titre ? Ou bien, plus utilement encore, peut-elle, convenablement appliquée, nous aider à agir ?
Chaque fois que l’on décide de faire quelque chose avec une machine ou avec un animal, on évalue le risque qui résultera nécessairement, mais avec plus ou moins d’intensité, de cette action. Selon l’évaluation que l’on fait de ce risque, on procédera à l’action prévue, ou on s’équipera d’une protection (casque ou tablier) ou d’une garantie (assurance), ou éventuellement, on y renoncera, le risque s’avérant dépasser nos forces ou nos moyens.
Il devrait en aller de même avec les hommes ; toute action qui repose sur la participation d’autrui demande à être examinée sous l’angle de sa réussite d’abord, bien entendu, mais aussi sous l’angle de son échec possible ; et il faut évaluer les conséquences de cet échec. S’il résulte de cette analyse que la personne peut vraisemblablement conduire l’action envisagée de manière satisfaisante avec des risques d’échec mineurs et que l’on a les moyens de les supporter, on dira que l’on peut lui faire confiance, mais en vérité on se fait confiance à soi-même et à notre capacité d’analyser correctement la situation, les risques qui y sont associés et les moyens nécessaires pour réparer un éventuel échec. Et si notre analyse nous conduit à la conclusion inverse, on renoncera à l’action envisagée ; on dira alors que l’on n’a pas fait confiance à la personne, mais en vérité on ne se sera pas reconnu la capacité ou les moyens de surmonter les difficultés qu’elle pourrait nous causer.
Ainsi, si on veut parler de confiance en matière de prise de décision, il faut admettre qu’elle n’exprime pas un jugement sur la personne qui devra exécuter la décision mais sur nous-même et la capacité que nous nous reconnaissons de surmonter les difficultés.
L’application de ce petit principe par de très grandes et très hautes personnes aurait peut-être évité que des centaines de milliards s’évanouissent dans les égouts de Wall Street.

11.12.08

Qui veut une petite leçon d’économie européenne par le dernier Nobel de cette matière ?

Dans le New York Times d’aujourd’hui, de Paul Krugman, l’article suivant (traduction)[1].

Il y a une extraordinaire – et extraordinairement dépressive – interview dans Newsweek de Peer Steinbrueck, le ministre des finances allemand. L’économie mondiale est en train de faire un terrible plongeon, visible partout. Et Mr. Steinbrueck s’oppose fermement à toute mesure fiscale extraordinaire, et dénonce Gordon Brown pour son « keynésianisme crasseux ».
Vous pouvez vous demander pourquoi cela retient notre attention. L’économie allemande est certes la plus grande d’Europe, mais elle ne représente qu’un cinquième du PIB de l’U.E., et environ un quart de l’économie US. Aussi en quoi l’intransigeance allemande a-t-elle de l’importance ?
La réponse est que la nature de la crise, combinée avec le haut degré d’intégration de l’économie européenne, confère à l’Allemagne un rôle stratégique spécial actuellement – et Mr. Steinbrueck est en conséquence en train d’accomplir une quantité remarquable de dégâts.
Voici l’enjeu : nous nous dirigeons rapidement vers un monde dans lequel la politique monétaire a peu ou pas d’effet : les taux des bons du Trésor aux États-unis sont déjà à zéro, et un taux proche de zéro va bientôt prévaloir dans la zone euro. La politique fiscale est tout ce qui reste. Mais en Europe il est très difficile de faire une expansion fiscale à moins qu’elle soit coordonnée.
La raison en est que l’économie européenne est tellement intégrée : les pays européen dépensent en moyenne un quart de leur PIB en importations entre eux. Puisque les importations tendent à augmenter ou à diminuer plus vite que le PIB durant un cycle économique, cela signifie probablement qu’environ 40% de la variation de la demande finale s’échappe en traversant les frontières intra européennes. Il en résulte que le multiplicateur d’une politique fiscale dans un seul pays est moindre que le multiplicateur d’une expansion fiscale coordonnée. Et cela signifie donc que l’échange de déficits contre un soutien de l’économie, en temps de crise, est beaucoup moins favorable pour n’importe quel pays européen qui le ferait seul que s’il est fait par l’Europe dans son ensemble.
En bref, c’est un exemple classique d’une situation dans laquelle la coordination des politiques est essentielle – mais vous n’obtiendrez pas de coordination si le responsable de la politique de la plus grande économie européenne refuse d’y participer.
Et si l’Allemagne empêche une réponse européenne efficace, cela va accroître de manière importante la sévérité de la crise dans son ensemble.
Pour résumer, il y a un puissant effet multiplicateur en action ; malheureusement il est en train de multiplier l’impact de la stupidité actuelle du gouvernement allemand.

L’avant dernière phrase, très inquiétante, nous invite à suivre de très près l’évolution du plan de relance allemand.
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[1] http://krugman.blogs.nytimes.com/2008/12/11/the-economic-consequences-of-herr-steinbrueck/

10.12.08

L’anticipation et la réaction

Le rythme intense des réactions de notre Président de la République nous fascine. Il n’est point d’incident survenant dans le territoire confié à son mandat qui ne mobilise d’urgence son attention, son temps et ses immenses moyens, sans qu’il en prévienne le renouvellement par une nouvelle loi après en avoir cautérisé les égratignures avec une enveloppe découverte par chance dans quelque tiroir oublié des greniers du Ministère des finances. Le petit peuple des électeurs n’est pas toujours conscient qu’un État vieux de 1000 ans, plus souvent accusé d’être sur-administré que l’inverse, qui rédige sans cesse des lois d’un volume proustien dont un stock considérable est toujours en attente d’être appliqué, faute sans doute de trouver un point d’application vraiment utile, puisse se trouver sans délai dans l’obligation de rédiger un texte dont l’urgente application avait jusqu’alors échappée à ses plus brillants esprits.
Et le petit peuple a peut-être raison ; en effet, les problèmes qui apparaissent dans la vie des individus et des communautés humaines tombent tous, à de très rares exceptions naturelles près, sous le coup de deux sortes d’attitudes :soit ils ont été anticipés et les réponses préparées, soit ils n’ont pas été anticipés et il ne reste qu’à réagir au mieux ; il est évidemment souhaitable d’avoir des réponses préparées, et on peut s’étonner que notre État soit quotidiennement confronté à des problèmes nouveaux que rien n’aurait permis d’anticiper.
On comprend que la vitesse des transports et l’instantanéité de la transmission de l’information, suscite une impression de confort au décideur ; il n’est plus nécessaire de préparer des mois à l’avance les solutions, temps nécessaire à l’acheminement des moyens, ni de donner les ordres des semaines à l’avance, temps nécessaire à la transmission des ordres. Mais cela, qui est vrai, ne concerne que le temps de l’action elle-même, pas le temps de la réflexion permettant d’anticiper la survenue du problème ni celui de la conception des réponses. Ajoutez à cela l’ivresse de l’action ressentie par le détenteur d’un pouvoir d’agir, et l’hypnose à laquelle ce spectacle soumet les observateurs médiatiques, et vous avez un Président de la République hyper réactif et content de l’être.
Or, si la vitesse a effectivement permis de régler mieux et plus vite certains problèmes, il s’en est révélé de nouveaux, comme l’effet de serre, pour la solution desquels la vitesse est plutôt un danger qu’une aide, alors que l’anticipation est tellement essentielle que notre prise en considération tardive a peut-être compromis, sinon la survie de la planète, au moins l’application des solutions les moins pénibles. De même, nous n’avons pas compris que la vitesse permettant la création et le fonctionnement d’une économie mondialisée, permettait aussi la diffusion quasi instantanée d’une maladie financière menaçant l’ensemble de l’économie ; et aujourd’hui, on entend l’aveu universel que personne n’a anticipé l’arrivée de cet évènement, et donc que personne, dans les cercles des pouvoirs, n’avait pris le temps de réfléchir pour anticiper.
Comme le disait Sun Tzu, « Celui qui excelle à résoudre les difficultés le fait avant qu’elles ne surviennent ». Il n’y en a pas à l’Élysée, mais à la décharge de son occupant, reconnaissons qu’il n’y en a pas non plus sur le reste de la planète.

7.12.08

L'inflation, la croissance et les experts

Les innombrables « experts » de l’analyse économique sont unis sur l’idée que la croissance de l’Europe est trop faible, voire bien trop faible, regardez donc le taux de croissance des 30 glorieuses ou le taux de la croissance mondiale pour vous en convaincre (disent-ils).
N’étant pas un expert, j’observe que la reconstruction d’un pays totalement ruiné par la guerre, suivie d’une prodigieuse modernisation, pour ce qui concerne la France, et aussi une grande partie de l’Europe, ainsi que le démarrage des pays en voie de développement avec sa construction massive d’infrastructures et la création d’industries ex nihilo, ne peuvent se comparer à l’évolution plus tranquille d’une économie stabilisée au plus haut niveau technologique de son époque. Il est donc souhaitable que la croissance, telle que sa mauvaise définition actuelle la conçoit, se poursuive au niveau de ce que nos experts appellent la croissance potentielle, et qui est, sauf erreur, inférieure à celle des trente glorieuses. Ce qui semble possible en appliquant des politiques raisonnables et efficaces. De là a dire qu’il existe une potion magique appelée inflation, il y a, même pas un fossé, un canyon. En effet, la période d’inflation utile s’est terminée à la fin des années 70 avec des taux qui atteignaient 15% et davantage, niveau auquel on en perd le contrôle et les avantages.
Mais il y a un argument à retenir au sujet de la prospérité des classes moyennes pendant les trente glorieuses ; certes, les circonstances l’on permise et l’inflation en a été l’accélérateur, mais elle rémunéraient aussi un immense effort collectif dont les générations actuelles n’ont pas idée, car la vie sociale se détériore au fur et à mesure où les malheurs et les drames s’éloignent et où la prospérité et le confort s’accroissent. Or les vingt dernières années ont profondément dégradé le statut économique des classes moyennes, dont le rôle dans le fonctionnement de la démocratie est trop important pour qu’il ne faille pas rechercher un moyen de le rétablir, probablement par d’autres voies, à rechercher, que l’inflation.