23.5.08

Le retour du protectionnisme?

Le protectionnisme douanier ne sera pas nécessaire ; la solution va être beaucoup moins agréable, et va nous être imposée par la situation.La liberté du commerce sans aucune limite ne peut fonctionner que si tout de qui est nécessaire au commerce, les hommes, les capitaux et les matières premières, est également disponible sans limite, ce qui était le cas jusqu’à une période récente. Mais on sait maintenant que les limites ont été sinon atteintes du moins perçues comme n’étant plus très loin. Cela modifie les conditions du commerce qui, d’une situation ou l’offre s’adaptait facilement à la demande, au point que le souci était souvent de soutenir la demande, quand il ne s’agissait pas de la créer, va passer à une situation ou une offre limitée va imposer ses conditions à une demande impossible à satisfaire, soit par insuffisance de quantités offertes à la vente, soit en raison des conditions imposées par le vendeur.Le comportement de la Russie dans la distribution de son gaz illustre le commerce international tel qu’il va falloir le pratiquer bientôt ; il n’y a pas un marché où acheteurs et vendeurs se mettent d’accord sur la chose et sur son prix, selon la formule traditionnelle de l’accord commercial, il y a un vendeur qui fixe ses conditions, pas forcément uniquement monétaires, à prendre ou à laisser. Les pays producteurs de pétrole sont en train d’adopter des politiques qui n’ont plus rien de commun avec un commerce libre ; le Venezuela ne fait plus passer qu’une partie de sa production par le commerce, pour en consacrer une autre à l’action diplomatique ; d’autre part, en remplaçant les concessions aux compagnies internationales par de nouveaux contrats léonins, voir en les annulant, ou en les remettant en cause dans des conditions inacceptables, les compagnies sont conduites à réduire leurs investissement, ou même empêchées de les poursuivre. Les producteurs du proche orient restent de marbre en constatant l’augmentation de la demande, soit pour étaler le revenu de la rente, ce qui reflète une prise de conscience de ce qu’il ne sera pas éternel, soit parce qu’ils ne disposent plus de réserves permettant d’augmenter la production. Tout ceci démontre qu’un commerce de pénurie est en train de se mettre en place ; il apparaît sur les matières premières énergétiques en premier, mais va s’étendre à de nombreux minéraux qui détiennent aussi la particularité d’être non renouvelables. Les restrictions concernant les métaux se répercuteront évidemment sur la production des produits manufacturés, pour lesquels les listes d’attente fleuriront, et un marché noir se mettra rapidement en place, comme on peut s’en douter en observant l’ampleur des vols de métaux depuis un ou deux ans.

16.5.08

Pourquoi y a-t-il moins de grèves dans le secteur privé que dans le secteur public ?

La raison réside dans la nécessité que la grève, qui est une recherche de solution quand la discussion n'aboutit pas, rencontre rapidement un point d'équilibre qui permette de revenir à la discussion, quand chacun a saisi le coût et les risques de la poursuite du conflit. Or, dans le privé le patron a immédiatement une perte de recettes qui dépasse les salaires qu'il ne paiera pas; et très vite, cette perte de recette qui ne permet plus de faire face aux obligations envers les fournisseurs et l'État, peut conduire à la fermeture. En même temps, les grévistes souffrent de la perte de leur salaire qui rend leur vie de plus en plus difficile, mais le risque de fermeture de l'entreprise les touche autant que le patron; alors quand les deux parties réalisent qu'ils ont atteint le point où les deux vont perdre, sans espoir de revenir en arrière, la discussion est à nouveau possible.La grève dans le secteur public ne connaît pas ce point d'équilibre rationnel ; en effet, les grévistes ont leur emploi garanti quoi qu'il advienne ; leur "entreprise" ne peut pas fermer. Quant au patron, l'État, c'est une abstraction représentée dans le conflit par quelqu'un qui a une carrière politique à protéger, et qui ne souffrira en rien, à titre personnel, des conséquences du conflit. Il n'y a donc pas de point d'équilibre naturel, qui peut seulement être trouvé, à un coût extravagant, par les clients captifs de l'"entreprise" quand ils ne supportent plus les inconvénients de la grève.

13.5.08

Les fonctionnaires et les effectifs de fonctionnaires

La démocratie est le régime qui reconnaît au peuple la détention et l’exercice légitime du pouvoir. Il existe de nombreuses modalités de cet exercice, mais toutes nécessitent qu’à un moment ou à un autre le peuple le confie à un ou plusieurs élus qui, à partir de cet instant, agiront « au nom du peuple » sur tous les sujets compris dans leurs mandats.
Dans un régime démocratique on s’attend donc à ce que toutes les décisions de dépenses de l’État et parmi celles-ci l’engagement des fonctionnaires qui le servent, soient prises par les élus du peuple. C’est d’ailleurs ce qui se passe pour les militaires dont l’éthique professionnelle a hérité de l’adage romain selon lequel le pouvoir militaire obéit au pouvoir civil et qui ne se sont jamais permis de manifester d’une manière ou d’une autre, et encore moins par la menace de désordres publics, qu’ils exigeaient une augmentation de leurs effectifs.
Par contre les fonctionnaires civils se croient autorisés, en permanence, non pas à donner leur avis sur la question, ce qui à titre individuel, et en tant que citoyen, est parfaitement légitime, mais aussi en tant que corporation, à exiger des augmentations d’effectif (ou à refuser des diminutions, ce qui revient au même) sous la menace explicite ou implicite de perturber la vie publique et de nuire à la vie quotidienne des citoyens, ce qui ne l’est pas. Ces menaces reflètent en effet une capacité de nuisance considérables par la détérioration partielle et parfois complète des services publics, cause première de l’existence des fonctionnaires, ce qui conduit souvent les gouvernements à céder à la menace.
Cette pratique néfaste a causé des conséquences particulièrement sérieuses dans la période récente au cours de laquelle les effectifs de l’État ont continué d’augmenter alors que la décentralisation transférait de plus en plus de tâches aux régions ; il y a là une des raisons, et pas la moindre, de la situation désastreuse des finances publiques.
On voit que le droit de grève n’est pas, ou ne devrait pas, être concerné par un tel sujet ; il est en effet possible de défendre les intérêts actuels et futurs des salariés faisant grève, sans pour cela décider de sujets qui sont de la responsabilité exclusive des détenteurs légitime du pouvoir, les électeurs. L’argument selon lequel ces exigences d’augmentation des effectifs seraient uniquement motivées par les conditions de travail et/ou la qualité des services publics, il n’est pas recevable au motif que le premier est parfaitement traité par les pouvoirs actuels des instances représentatives du personnel et des institutions comme la médecine du travail et les autorités d’inspection en vigueur. Quant aux diminutions des effectifs budgétés tant qu’elles n’entraînent pas de licenciement secs elles ne nuisent pas au personnel en place qui bénéficie de toute façon du statut de la fonction publique.Dans l’intérêt de la vie démocratique, il serait donc souhaitable que les fonctionnaires cessent, en tant que corporation, de placer les effectifs dans leurs revendications, afin que ce sujet de grande importance retrouve la place qu’il mérite dans le débat public, sans être entaché des préjugés sur les fonctionnaires, ni des préjugés des fonctionnaires sur eux-mêmes

7.5.08

Partager des ressources rares

Le partage des ressources non renouvelables
La crise alimentaire va nous amener plus vite que prévu à réfléchir à la répartition des ressources au niveau mondial. Le plus simple, car les prix administrés ont trop d'inconvénients, est que les prix reflètent la rareté des produits, car c'est ce qui permet le mieux la réaction la plus efficace des systèmes de production. A noter que, de cette manière, les prix intègrent aussi les obligations nouvelles liées au climat, à l'eau, etc. Cela suppose que les pays sous-développés ou en développement disposent des ressources financières pour payer les importations. La logique de la répartition de ressources limitées c’est que tous les habitants de la planète aient les mêmes droits de propriété sur chacune des ressources, quelque soit l’endroit où elle se trouve, alors que dans un monde infini (ou considéré comme tel) où il était possible de découvrir de nouvelles terres que les aventuriers n’imaginaient pas dépourvues de richesses, on se partageait les terres ainsi que ce qui était dessous. Cependant, on avait rapidement compris que le droit de propriété individuel sur la terre ne comprenait ni ce qui était sous la surface, ni ce qui dépassait ce qu’on était en droit de construire, et donc que ces deux dimensions étaient une propriété collective. Maintenant, les ressources se révélant limitées soit parce qu’elles sont irremplaçables, soit parce que les moyens de les produire (sols arables, eau, conditions climatiques) ont des limitations, la propriété collective d’une population nationale, devient la propriété collective de la population mondiale. Il faut se demander comment on peut procéder au partage des ressources non renouvelables. Il est évident que le partage physique, même si en cas d’extrême rareté il ne devrait pas être exclu, n’est pas une solution pratique ni souhaitable pour les PSD et tous les PEVD, et qu’il faudrait au moins partager la rente qu’en retire le détenteur géographique. On voit les difficultés qui résulteraient de l’application d’une telle solution, mais « quoi d’autre ? ».
L’actualité internationale nous apporte une réponse, certes partielle, mais intéressante si des intérêts nationaux n’étaient pas en train de l’éliminer ; il s’agit des richesse contenues dans le sous-sol des mers arctiques, au-delà des limites actuelles internationalement reconnues, et dans d’autres mers pour des motifs géologiques inventés pour l’occasion (prolongement du plateau continental). L’opinion ne manifeste pas encore son intérêt pour ce sujet, probablement car les richesses qui motivent cette réforme sont à de grandes profondeur, très difficiles à extraire, ce qui cependant les laisse suffisamment attractives pour susciter cette action. Or il s’agit de richesses non renouvelables, énergie et métaux, sur lesquelles aucune nation ne possède de droits historiques ou légaux, et qui pourraient donc être les premiers actifs d’une coopérative mondiale détenant l’exclusivité de l’exploitation de ces gisements.
La simple existence de cette coopérative mondiale, serait-elle future, exercerait une influence certaine sur l’évolution du marché de ces produits, ce qui est de la plus grande importance. En effet on peut tout craindre de l’évolution du commerce de biens dont la disponibilité est limitée ; les règles du libre échange ne fonctionneront plus ; le prix ne sera plus fait par le marché, mais par le rapport inégal entre celui qui a un besoin impératif d’un bien donné et celui qui dispose de ce bien et est prêt à le vendre au plus offrant ou à d’autres conditions, pas forcément monétaires (alliance militaire, assistance technique, etc.). De plus, un changement de paradigme sur le marché des matières premières, ne tardera pas à transférer ses effets sur les autres marchés, sans aucune exception. Même en étant optimiste sur les aptitudes humaines à s’adapter au changement, nul ne peut évaluer l’ampleur des bouleversement qui en résulteraient sur les échanges mondiaux. C’est pourquoi, la création de cette coopérative de production mondiale est une des toutes dernières chances de freiner ces bouleversements.

Qu’est-ce que la spéculation sur les matières premières ?

La fonction des marchés à terme de matières premières (c'est-à-dire de produits récoltés ou extraits) est de permettre à ceux qui les produisent (agriculteurs et entreprises minières) de s’assurer un prix de vente certain, et à ceux qui les consomment (le secteur agroalimentaire et l’industrie métallurgique et autres consommateurs de métaux) de s’assurer un prix d’achat certain.
On dit qu’il s’agit d’un marché à terme, parce que les transactions portent sur des biens qui n’existent pas encore, mais qui seront disponibles, après récolte ou fabrication, à une certaine échéance.
Prenons l’exemple du Blé sur le marché de Londres. C’est là que se négocie le blé européen dont la récolte annuelle est de l’ordre de 125 millions de tonnes, en deux qualités, le blé meunier et le blé fourrager. Les échéances annuelles sont les suivantes : janvier, mars, mai, juillet et novembre, et le marché cote le blé sur 8 échéances, c'est-à-dire qu’aujourd’hui on peut faire des transactions aux échéances de mai 2008, juillet, novembre, janvier 2009, mars, mai, juillet et novembre.
L’unité de transaction s’appelle un contrat et porte sur 50 tonnes. Pour un cours de 200€ la tonne, un contrat représente donc 10000€ ; il faudra, pour être admis à le souscrire, faire un dépôt de garantie de 10% ou davantage. Chaque jour la bourse calcule l’effet de la variation des cours sur votre contrat, et vous réclame un supplément de garantie (l’appel de marge), ou vous verse un bénéfice provisoire.
Le vendredi 25 avril 2008, il y a eu 3737 contrats négociés sur le blé meunier, amenant l’encours total à 73390 contrats, représentants 3,7 millions de tonnes de blé meunier, à quoi on peut ajouter 0.6 millions de tonnes de blé fourrager, soit 4.3 millions de tonnes sur une production annuelle de l’Europe de 125 millions de tonnes. A noter que 3.4 millions de tonnes sur les 4.3, soit 80%, portent sur une seule échéance, celle de novembre 2008.
On admettra aisément que sur cette quantité modeste à l’échelle de l’Europe, un partie non négligeable concerne les agriculteurs (en fait des coopératives spécialisées) cédant leur production à des industriels de l’alimentaire qui en auront besoin de manière certaine.
Alors quelle est la part de la spéculation sur le marché du blé européen ?
On vient de voir l’utilisation du marché à terme par les acteurs pour lesquels le terme a des conséquences concrètes ; ils veulent réellement céder physiquement les produits pour les uns et les faire rentrer dans leurs usines pour les autres, à la même date.
Maintenant appliquons les règles des marchés à terme à la description de la spéculation faite plus haut : « il suffit d’acquérir de grandes quantités de titres ». Il y a deux cas à considérer : soit la récolte future n’est pas encore vendue, soit elle est déjà vendue. Dans le premier cas, le spéculateur est certain de pouvoir livrer le blé à l’échéance, il a simplement créé une demande solvable qui n’existait pas, et s’il en apparaît une autre il pourra sans doute lui vendre avec profit. Cependant, si elle n’apparaissait pas, ou si elle apparaissait à un prix inférieur à ce qu’il souhaite, il perdra de l’argent, et si elle n’apparaît pas, il se retrouvera avec des tonnes de blé qu’il faut liquider dans un entrepôt qu’il faudra payer. Dans le deuxième cas, il doit trouver une contrepartie à son achat, et en l’absence de producteur, il va trouver un spéculateur jouant sur la baisse des cours. Et il ne pourra gagner qu’en vendant à un autre spéculateur jouant sur une hausse des cours encore plus forte que celle sur laquelle il a lui-même spéculé, et il faut le trouver avant l’échéance.
Tout cela est possible, mais associé à de grands risques. C’est quoi les grandes quantités ? Un millième de la production mondiale (600000 tonnes) demande un dépôt de garantie de 12 millions € (*) avec un risque supérieur.
Le véritable problème se situe sur les points faibles exploités par les spéculateurs, et non par la vente à terme elle-même :
- l’effet de levier offert par des dépôts de garantie insuffisants ; lse bourses le connaissent bien puisqu’en cas de variation trop rapide des cours elles les augmentent comme l’a fait récemment la bourse de Chicago, sur le blé ;
- la spéculation à la baisse des actions rendues possibles par le prêt de titres fait par des détenteurs institutionnels (assurances, fonds de pension, etc.)
- le prêt d’or fait par des banques centrales permettant à des mines de pratiquer des ventes à découvert qui ont bouleversé le marché de l’or pendant des années.
- les prêts consentis aux hedge-funds pour fabriquer des effets de levier astronomiques

(*) Le chiffre de 12 millions fixait l’ordre de grandeur des capitaux nécessaires et des risques relatifs. Il permet de se rendre compte des montants en jeux dans la spéculation sur le blé sur marché de Londres dont on a vu plus haut que l’en-cours s’élevait à 4.3 millions de tonnes ; les capitaux mobilisés s’élèvent à 86 millions à la date du 25 avril, montant qui ne semble pas de nature à attirer tous les Jérôme Kerviel de la terre.
Je reste donc convaincu que les prix actuels n’auraient pas connu les variations que l’on a constatées si la demande ne s’était pas significativement accrue, ce qu'elle a fait.