25.3.09

La dissuasion nucléaire

La chute de l’URSS a fait sortir la dissuasion nucléaire d’une période marquée par sa raison d’être : instaurer une contre-menace indiscutable. Sans l’existence d’une menace nucléaire, les démocraties (et en tout cas, la France et son peuple) sont incapables, et souhaitons-le, le resteront, d’utiliser l’arme nucléaire même défensivement.

Est-ce à dire que la menace nucléaire ne pourrait plus réapparaître ? Certainement pas, il faut donc maintenir la force nucléaire française en état de fonctionner au niveau technique courant, afin de rester dissuasive. Existera-t-il une situation dans un avenir proche (les cinquante prochaines années) dans laquelle l’organisation de monde aura atteint la forme d’un État mondial qui ne pourrait donc plus s’auto-dissuader ? Nous n’en savons rien.

En tant qu’État souverain, il suffit que la France conserve sa force nucléaire indépendante en limitant l’expression de sa doctrine d’emploi à la dissuasion nucléaire ; une force nucléaire qui ne serait plus indépendante (au sens le plus strict que l’on peut donner à ce mot) n’a pas de sens.
Il reste alors à l’Union Européenne, pas à la France, à trouver une perspective européenne à une force de dissuasion nucléaire indépendante. Cette question ne trouvera pas de réponse (et ne sera probablement même pas posée) tant qu’une menace nucléaire sur l’Europe ne sera pas plausible, et si elle se manifestait, tant que le parapluie américain restera crédible pour les Européens. Mais dans l’hypothèse inverse, qu’il nous est interdit d’exclure, l’U.E. découvrirait rapidement l’intérêt que représente l’existence d’une dissuasion nucléaire européenne en état de marche.

La condition non négociable que la France devrait y mettre serait de conserver la maîtrise technique et industrielle de l’arme, en concédant à l’U.E., sous des conditions rigoureuses d’emploi, l’usage de vecteurs. Cela ressemblerait forcément aux accords États-unis/Royaume Uni sur le même sujet.

20.3.09

Londres et le protectionnisme financier

Dans un article du Financial Time du 17 mars intitulé “les régulateurs ne doivent pas trop réguler”[1], on peut lire : « Le problème que de nombreux centres financiers rencontrent est qu’ils ont bénéficié d’un avantage régulatoire relatif. L’ouverture de Londres aux étrangers et l’influence légère de la régulation a rendu possible son rôle de centre international prééminent ».

Un avantage compétitif dû à une application « différente » de règles internationalement admises ressemble fort à une entorse à la concurrence libre et non faussée que les Anglo-Saxon aiment tant voir appliquée par autrui, n’est rien d’autre que ce que l’on peut appeler crûment un comportement protectionniste. Et ce comportement a eu des conséquences considérables, puisque le rédacteur du Financial Time peut lui attribuer la cause de la prééminence financière de Londres.

On comprend mieux l’opposition d’une partie du monde bancaire britannique à l’idée d’une régulation européenne centralisée ; il s’agit de la protection de leur fond de commerce que le renoncement au protectionnisme dépouillerait de ses performances dues au dopage régulatoire davantage qu’à un talent financier finalement très surfait.

Lorsque Gordon Brown attaquait récemment, avec vivacité, le protectionnisme financier en raison de ses dangers, il énonçait certainement un principe qu’il comptait appliquer sans faiblesse au pays qu’il gouverne …

----------------------
[1] Insight: Regulators mustn’t over-regulate By John Plender Published: March 17 2009
The problem that many financial centres nonetheless face is that they have been beneficiaries of relative regulatory advantage. London’s openness to foreigners and light regulatory touch has underpinned its role as the pre-eminent international centre.

14.3.09

Encore le protectionnisme

Dans notre dernier billet sur le protectionnisme financier nous évoquions les soucis du Premier Ministre britannique qui a du mal à accepter l’idée que son beau libéralisme absolu s’adapte difficilement à la crise.

Les Américains sont en train de faire la même découverte.

En effet, ils n’ont pas encore trouvé la solution permettant de sauver leur système financier, ou, s’ils l’on trouvé, ils n’osent pas le dire, ni l’appliquer. La raison de cette indécision serait l’immensité des pertes à combler devant laquelle leurs célèbres écoles de science économiques, leurs armées de prix Nobel, leurs universités si bien notées par le classement de Shanghai, leurs inépuisables budgets de recherche, en un mot leur puissance inégalée, reste sans voix.

Ils sembleraient avoir découvert les conséquences dérangeantes de ce que nous donnions dans notre billet du 10 mars comme exemple du protectionnisme financier, à savoir l’exportation massive d’actifs financiers toxiques. Il est en effet très dérangeant pour un contribuable américain d’apprendre que l’argent public donné aux banques pour survivre leur sert à payer à des banques étrangères l’argent qu’elles leur doivent. Et cela deviendrait presque drôle quand on sait que ces dettes résultent des actifs toxiques qui leur ont été vendus.

Mais ce qui n’est pas drôle du tout, c’est que cela peut devenir, ou est déjà devenu, un problème politique aux États-unis où on opposera l’intérêt du contribuable, sous-entendu de l’électeur, au capitaliste étranger ; « à un certain point, l’administration Obama devra choisir entre nos créanciers étrangers et les électeurs américains ».

Il n’y a donc pas qu’au Royaume-Uni que l’on a du mal à accepter l’idée que le beau libéralisme absolu s’adapte difficilement à la crise, les États-unis le répudieraient prochainement qu’il ne faudrait pas en être surpris. Les adeptes européens du libéralisme feraient bien de s’adapter aussi, et rapidement.

10.3.09

Protectionnisme financier

On ne pouvait pas y échapper ; un des princes de la mondialisation heureuse (en l’occurrence le Premier Ministre Brown cité par The Independant) inquiet, à juste titre, de la fuite des capitaux de la City, causée par le besoin des banques étrangères établies au Royaume-Uni de rapatrier massivement des capitaux, partiellement compensée par les mouvements inverses des banques anglaises, nous avertit, sans rire, des dangers du protectionnisme financier.

Étrange et imprudente audace … C’est encore plus étonnant que la critique des consommateurs qui, inquiets, restreignent leur consommation pour constituer une épargne de précaution afin de ne pas tomber à la charge de la société quand les risques probables se réaliseront. Dans le cas des banques en effet, qualifier des actions légitimes (après tout, les capitaux rapatriés par les banques leur appartiennent ou à leurs déposants, elles n’en ont pas fait cadeau aux Rosbifs, et ces derniers ne les ont pas prévenues que tout dépôt chez eux était fait pour l’éternité) de protectionnisme alors que la mondialisation repose sur la liberté de mouvement de tout ce qui peut bouger et en particulier les capitaux, cela est d’une rare hypocrisie, surtout exprimé par ceux qui se vantaient encore hier d’être les parangons de la finance dont on sait qu’elle repose sur la confiance.

Peut-être bien que des contradictions soigneusement dissimulées jusqu’alors vont commencer à faire surface. Par exemple, l’exportation massive d’actifs financiers toxiques dans un emballage trompeur n’est-elle pas un acte de protectionnisme financier bien pire que le rapatriement de capitaux, puisque de nature à détruire les concurrents au moyen d’objets financiers conçus sinon dans ce but (encore que …) mais avec cette capacité ?

Il faut bien reconnaître que la crise a des aspects douloureux pour celui qui se croit encore le maître du centre financier le plus important du monde. L’argent du monde n’a plus confiance en lui ; les sous à la recherche d’asile vont aux États-unis ou en Suisse, pas sur les terres de sa Gracieuse Majesté ; je ne suis pas sûr que la crainte du protectionnisme financier suffise à les faire retourner à Londres …

8.3.09

Des exemples à ne pas (toujours) suivre

La fascination pour les États-unis, caractère souvent sympathique et parfois justifié, s’applique regrettablement trop souvent à tout, ce qui est évidemment trop et nuit forcément à l’exercice d’un jugement sain sur les sujets importants.

C’est ainsi que la critique, elle aussi justifiée, de nos organes d’information nous pousse à croire à la vertu permanente de la presse américaine. Et le 8 mars, Paul Krugman dans son blog relève que sur deux sujets majeurs, et potentiellement désastreux, l’invasion de l’Iraq et la dimension du plan de relance d’Obama, tout s’était passé comme si la presse américaine s’interdisait de permettre à l’opposition de s’exprimer. Il y a là une manifestation spectaculaire du refus spontané d’appliquer la liberté d’expression (garantie par le célèbre Premier Amendement de la Constitution des États-unis) à tous ceux qui voulaient critiquer ces projets quand cela risque de heurter un consensus patriotique. Cela écorne un peu l’image d’une presse libre, efficace et courageuse que l’on a attribuée à l’Amérique, et l’on aimerait tant pouvoir donner à notre presse aussi.

Cette fascination s’exprime souvent par l’usage d’une formule trop générale comme : La France (ou l’Europe, ou le reste du monde) est très en retard sur les États-Unis ; c’est vrai dans beaucoup de domaines, mais pas dans tous, loin s’en faut, et non des moindres.
De même, il ne faut certes pas se priver de critiquer le plan de relance du gouvernement, mais l’argument consistant à dire qu’il n’est pas bon parce qu’il représente un pourcentage du PIB inférieur au plan américain est véritablement stupide ; personne ne sait quelle est l’ampleur réelle de la crise, ni aux États-unis ni en France, et, le saurait-on, les deux situations ne sont pas identiques, rien ne permet donc ni de les comparer, ni de noter un plan mieux que l’autre. Par ailleurs, l’idée selon laquelle plus une dépense est énorme plus elle est utile est une fiction dramatique aussi néfaste que de juger que la détention en prison d’un pour mille de la population française constitue un « retard » par rapport à la détention de 5 pour mille de la population américaine.

On observe également une tendance à croire que l’imitation servile de ce qui a réussi aux États-unis (sans que les résultats réels complets nous soient toujours accessibles) résoudra nos problèmes d’innovation, de productivité, de compétitivité, de croissance, ce qui présente plusieurs inconvénients sérieux : il y a peu de chance que les conditions prévalant aujourd’hui chez nous soient identiques à celles qui ont permis le succès chez eux, et les efforts entrepris pour l’imitation se font au détriment de l’analyse et de la solution de nos vrais problèmes actuels. Fallait-il imiter les américains pour créer une industrie de l’aviation, ou des lanceurs spatiaux, ou des satellites?

4.3.09

Sécurité, liquidité, rendement

Ce sont, par ordre d’importance, les trois qualités recherchées par la Banque Centrale de Chine pour ses réserves. Il y a tout lieu de penser que la même politique est suivie dans les autres banques centrales (qui s’expriment rarement sur le sujet alors que la Banque de Chine l’a fait).

Le rendement
Il n’a pas toujours été recherché, ni même possible : l’or ne verse pas de coupon annuel. Et quand les monnaies-papier ont commencé à rejoindre l’or dans les réserves, leur conversion en emprunts de l’État émettant la monnaie a fait perdre à l’or une part de son attrait. Alors certaines banques centrales ont commencé à louer leur stock d’or aux mines (pour qu’elles puissent vendre à terme leur production future) moyennant un petit loyer. Et comme ce loyer ne valait pas un bon coupon d’intérêt, elles ont entrepris de vendre sur le marché une partie de leur stock, ce qui, après les ventes à terme, a sérieusement troublé le marché de l’or pendant plusieurs années (elles continuent d’ailleurs un programme de vente d’or volontairement limité à environ 500 tonnes par an).

Un marché liquide et profond
Cette qualité est plus importante que le rendement ; le propre des réserves est en effet de pouvoir être mobilisées à tout moment et pour toute quantité.

La sécurité
Pour une monnaie de réserve, la sécurité revêt deux aspects : en tant que reflet d’une économie, la monnaie est aussi solide que cette économie qui la garantit ; et en tant qu’instrument sous la protection d’un État, sa sécurité est assurée par cet État, ses institutions et, en dernier ressort, sa puissance militaire.

Ce qui est vrai pour les banques centrales l’est aussi pour les acteurs de l’économie, à cette différence près, que, pour ces derniers, l’ordre d’importance des trois qualités varie selon la situation politico-économique du moment ; en période calme le rendement prend la première place, et la sécurité le remplace dès que les troubles apparaissent. C’est ainsi que l’on voit le dollar monter à l’occasion d’une crise mondiale, alors même que son économie et sa finance se portent aussi mal, sinon plus mal que celles de l’Europe simplement parce qu’aucun autre pays n’est plus puissamment protégé contre n’importe quelle agression.

L’U.E. ne peut évidemment en dire autant ; et tant que la défense européenne n’existera pas, le dollar conservera sa prééminence.