28.11.08

Oraison pour Greenspan

Personne n’était plus qualifié que Paul Volcker pour la prononcer

« Pour le dire simplement, le brillant nouveau système financier, en dépit de tous ses talentueux acteurs, de toutes ses somptueuses récompenses, a raté l’épreuve du marché. La confiance mutuelle entre des participants du marché dignes de respect sur laquelle doit reposer tout système financier solide et efficace a été vraiment mise en danger par son démontage désordonné. »[1]

Rapporté par Glenn Kessler
Washington Post le 27/11/2008
--------------------------------
[1] "Simply stated, the bright new financial system, for all its talented participants, for all its rich rewards, has failed the test of the marketplace," Volcker said during a scathing attack on Greenspan's approach earlier this year. "What has plainly been at risk is a disorderly unraveling of the mutual trust among respected market participants upon which any strong and efficient financial system must rest."
http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2008/11/26/AR2008112603957.html?wpisrc=newsletter

27.11.08

Il faut s'intéresser à l'Arctique ... maintenant

Le Centre d’Analyse Stratégique, dans sa note de veille n° 117 de Novembre, publie une brève, intitulée "l'Union Européenne en quête d'une statut d'acteur stratégique en Arctique", sur l’intense activité suscitée récemment par l’Arctique, et son considérable intérêt pour l’Union Européenne en particulier, et pour le monde en général (voir notre billet du 7 Mai 2008 sur le partage des ressources rares).
Ne pas manquer d’aller admirer la superbe carte établie par Philippe Rekacewicz.
----------------------------
L’Arctique fait l’objet d’une préoccupation géopolitique croissante de la part de l’Union européenne. Le
10 septembre, lors de la conférence d’Ilulissat (Groenland) organisée par le Conseil des ministres nordiques pour débattre avec les pays nordiques, les États-Unis, le Canada, la Russie et la Chine, des préoccupations communes de l’Arctique (changement climatique, exploitation des ressources, nouvelles voies de navigation maritime), le commissaire européen à la Pêche et aux Affaires maritimes a annoncé l’adoption prochaine d’un plan d’action pour protéger l’environnement arctique et sa biodiversité. Le 9 octobre, le Parlement européen s’est prononcé en faveur d’un traité international sur la protection de l’Arctique. Les 9 et 10 novembre, à l’initiative de la Présidence française de l’Union, Monaco a accueilli une conférence internationale visant à dresser un état des lieux de la recherche environnementale en Arctique. Dix jours plus tard, la Commission européenne a adopté une communication sur la région arctique dans laquelle elle promeut la protection de l’environnement, une gestion durable de ses ressources et une meilleure gouvernance multilatérale. Contrairement à l’Antarctique, l’océan Arctique n’est régi par aucun traité spécifique. La convention des Nations unies de Montego Bay sur le droit de la mer (1982) n’a pas mis un terme au contentieux sur le statut des détroits et le partage des zones à fort potentiel énergétique. L’UE n’est pas représentée en tant que telle dans le Conseil de l’Arctique, forum de coopération créé en 1996, regroupant les huit États arctiques (Canada, Danemark, États-Unis, Finlande, Islande, Norvège, Russie, Suède), les populations autochtones et trois pays observateurs (Grande-Bretagne, Pays-Bas, Pologne). Elle ne peut durablement rester absente économiquement et politiquement de cette région, qui recèlerait, selon les dernières estimations de l’US Geological Survey, un cinquième des réserves mondiales d’hydrocarbures non encore découvertes. La sécurité de ses approvisionnements énergétiques passe par un resserrement des liens avec la Russie, susceptible de réduire sa dépendance pétrolière à l’égard du Moyen-Orient.
http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P6-TA-2008-
0474+0+DOC+XML+V0//FR&language=FR ;
http://www.ue2008.fr/webdav/site/PFUE/shared/import/1109_UE_Arctique/1109_UE_Arctique_Declaration_finale_11.11%20_FR.pdf ;
http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=IP/08/1750&format=HTML&aged=0&language=FR&guiLanguage=fr ; Philippe Rekacewicz, Géopolitique de l’Arctique : la course pour les ressources, pour télécharger la carte : http://www.cartografareilpresente.org/IMG/pdf/map-arctic.pdf

21.11.08

Le seul fonds souverain qui démarre avec un passif

Apparemment, personne n’avait averti Nicolas Sarkozy des conditions à satisfaire pour créer un fonds souverain (voir le billet du 9 juillet « Fonds souverain : ça en jette … »). Nous voilà donc affublé d’un fonds souverain comme il y en a peu :
- Portefeuille : 14 milliards en titre principalement du CAC 40, apportés par moitié par l’État et la Caisse des dépôts.
- Caisse : 7 milliards empruntés en totalité.
En conséquence, l’actif de ce chef-d’œuvre de la finance s’élève à 20 milliards, son capital à 14 milliards et sa dette à 7 milliards.
Comme les cours actuels de la bourse ne sont pas franchement des cours de vente, notre superbe fonds souverain dispose d’une capacité d’intervention stratégique de 7 milliards qui vont lui coûter au moins 300 millions d’intérêts par an. De quoi s’offrir 7,8% de Total au cours de 37.79.
Impressionnant.

15.11.08

Qu’entend-on par excès de régulation ?

Des gens habituellement très sérieux sont en train de nous mettre en garde, avec un air de profonde inquiétude, contre un des plus graves dangers qui nous guette : la réforme actuelle du capitalisme financier risque de causer un excès de régulation.
Ciel ! Mais qu’est-ce donc un excès de régulation ? Il faut y réfléchir à deux fois avant de comprendre de quoi il peut s’agir. Et c’est lors de la première fois que m’est revenue cette loi pédagogique de la Cosa Nostra : « nos adversaires ne sont pas les juges très honnêtes ou excessivement honnêtes, ce sont les juges honnêtes ». Et lors de ma seconde réflexion, j’ai imaginé ce que pourrait être un excès de régulation dans le code de la route : les associations d’automobilistes affirmeraient qu’elles sont pour le code de la route, mais qu’il ne faudrait pas tracer des lignes excessivement continues.
Évidemment, vous allez dire que la régulation financière ne concerne pas des populations peu soucieuses de légalité comme les maffieux, ou parfois irresponsables comme les fous du volant, mais des business men en costume trois pièces dont les mains ne sont tachées ni par le sang, ni par le cambouis, et que, par conséquent, leurs intentions sont pures. Admettons (dans l’intérêt de la discussion seulement).
Ce qu’on appelle la régulation n’est rien d’autre que la manière de mettre en pratique les lois et règlements régissant une activité. De ce point de vue, un non-financier comprend immédiatement qu’on régule ou qu’on ne régule pas, l’idée de réguler un peu, ou juste quand cela vous arrange ne pouvant sérieusement être considérée quand on parle de régulation ; d’ailleurs, ceux qui on l’expérience de conversations avec la maréchaussée au sujet d’un comportements ne respectant pas la régulation, comprennent dès le premier entretien qu’un vrai régulateur dispose d’une dialectique puissante (on ne peut y répondre) et efficace (on signe le PV).
Mais un financier vit dans un monde différent, sans maréchaussée, ou, ce qui ne vaut pas mieux, doté de régulateurs équipés d’une dialectique misérable comparée à l’autre. Et sa vision d’une régulation pas excessive, signifie que non seulement elle ne doit rien lui coûter, mais qu’elle ne doit surtout pas l’empêcher de poursuit des affaires fructueuses même quand elles franchissent légèrement la ligne, comme de prêter, à un Mexicain ramasseur de fraises et ne parlant pas un mot d’anglais, avec un revenu annuel de 14000$, la totalité du financement d’une maison de 720 000$, à Bakersfield en Californie*.


* Cité par Michael Lewis le 11/11/2008 dans The End of Wall’s Street Boom

8.11.08

Qui a écrit le compte rendu de la réunion informelle de l’U.E. ?

Ce compte rendu[1] énonce l’objet de la réunion et les décisions prises … comme tous les comptes rendus. Était-il besoin, plutôt que d’en exposer la conception d’ensemble et les conclusions, d’adopter la forme d’une liste de courses en 8 points? La question peut se poser, surtout pour aborder une négociation qui sera certainement difficile, car des points indépendants seront plus difficiles à défendre d’attaques indépendantes elles aussi.
Ensuite, la lecture de ce texte révèle quelques surprises stylistiques qui ne sont pas meilleures ; les voici.
« L’Europe doit prendre une part majeure sur trois plans : des principes […] ; une méthode de travail pour assurer des décisions réelles et rapides ; un programme complet de réponses […] adoptées sans délai. »
Cette phrase a un problème de construction : à partir des trois plans, on attend « des principes, de la méthode, du programme », ou bien " les principes, une méthode, un programme", les trois membres étant séparés par des virgules et non des points-virgules. Mais elle a surtout un problème de clarté : qu’est-ce qu’une part majeure ? Est-il concevable que l’U.E. organise une réunion mondiale et y participe en y tenant une part modeste voire médiocre ? Que sont des décisions qui ne seraient pas réelles ? Comment voit-on qu’un programme de réponses est complet ? Et si elles sont adoptées sans délai, pourquoi ne pas les adopter tout de suite et ne pas faire de programme ?
On voit que le rédacteur, recruté sans doute dans une officine publicitaire ou électorale, croit renforcer son texte en l’inondant de qualificatifs inutiles, ou gênant.
« Les normes […] devront être révisées de manière à s’assurer qu’elles ne contribuent pas […] ». « De manière à assurer » ne suffit-il pas ?
« Les organismes de normalisation, notamment en matière comptable devront être réformé pour permettre un véritable dialogue avec l’ensemble des parties intéressés, notamment les autorités prudentielles ». Il est exact qu’au delà de deux, on n’est plus dans le dialogue mais dans la conversation, mais ce n’est probablement pas le sens du texte, alors pourquoi véritable ? Par ailleurs l’usage répété de notamment (très abusivement employé devant les micros et caméras pour suggérer une liste longue et complexe dont on épargne l’énumération à l’auditeur) n’a pas d’emploi ici où on mentionne précisément les organismes et autorités concernés.
« Les grands groupes financiers internationaux devront être surveillés […], au travers de la mise en place de collèges ». Nous atteignons là un sommet de complexité : au travers de la mise en place est une expression incompréhensible, cependant au travers de collèges pourrait avoir un sens architectural et urbain, mais que faire alors de la mise en place ?
« La mission […] du FMI, qui dispose de la légitimité […] pour devenir de plus en plus le pivot […]. » L'idée que l'on puisse progresser dans l'état de pivot ne peut faire référence qu'au basket, sport respectable mais n'ayant que de lointains rapports avec la régulation financière. Mais bon ...
« […] son rôle sera mieux articulé avec celui du Forum […]. »
« […] cinq orientations concrètes pourraient être adoptées dès le 15 novembre ; »
On ne voit pas ce que des orientations peuvent avoir de concret (on a la chance cependant d’échapper au TRES concret d’usage quasiment obligé de nos jours), ni ce qu’apporte dès si ce n’est que l’adoption le 15 novembre serait substantiellement supérieure, pour le bon peuple ébaubi par l’efficacité présidentielle, à une adoption regrettablement tardive le 16 ou le 17 du même mois.
« Le FMI doit […] exercer pleinement son rôle de surveillance. »
« la promotion du libre échange à travers l’achèvement rapide du cycle de Doha. » On ne peut que souhaiter que tout ce qui sera fait « à travers » ne soit pas fait de travers.
Qu’aurait pensé Boileau de tout ça ?

[1] http://www.ue2008.fr/impression.do?url=%2FPFUE%2Flang%2Ffr%2Faccueil%2FPFUE-11_2008%2FPFUE-07.11.2008%2FReunion_informelle_chefs_etat_et_de_gouvernement_de_Union_europeenne_le_7_novembre%3Bjsessionid%3D85892DF5F8EE016F92F62FE57A15D2AB

1.11.08

Au sujet des paradis fiscaux

Le développement insolent des paradis fiscaux, associé aux crises qu’on les accuse de provoquer, amène à s’interroger sur les services qu’ils doivent rendre à leur clientèle pour ainsi la fidéliser et l’accroître.
La liste non limitative de ces services doit s’établir, pour le vulgum pecus auquel je m’honore d’appartenir, à peu près ainsi :
- permettre aux mauvais citoyens d’échapper à l’impôt de leur pays ;
- permettre aux gains de personnages peu fréquentables d’être blanchis autorisant ainsi leur propriétaire à reprendre, peut-être, les apparences d’un bon citoyen, et en tout cas à son argent d’être utilement recyclé ;
- permettre aux États de s’affranchir de toute loi, comme ils l’ont toujours fait.
Ce que l’on appelle « paradis fiscaux » sont en vérité des enfers légaux ; il est donc normal que les nations adeptes de l’état de droit souhaitent les interdire, comme ils disent.
Cette fois, la crise et les difficultés budgétaires motivent plutôt le désir de récupérer l’impôt que celui de rétablir la morale, mais bon …

Jusqu’à présent, les tentatives de convaincre les paradis fiscaux de renoncer à leurs fructueuses opérations bancaires n’ont pas été réussies. Il va donc falloir trouver d’autres méthodes ou d’autres arguments. Il y a en effet deux manières de procéder : soit interdire les mouvements de capitaux vers les paradis fiscaux, soit avoir accès à une information détaillée et complète de tous les mouvements en provenance ou à destination des dits paradis.
L’interdiction des mouvements de capitaux pouvant être difficile à imposer, il reste le contrôle des mouvements.
Et cela ne doit pas être une mauvaise idée car nos amis américains ont mis en place après le 11 septembre un programme de surveillance portant sur les transferts bancaires internationaux transitant par SWIFT ; ce programme, géré par la CIA, a été révélé par la presse américaine le 23 juin 2006. Cette surveillance est dirigée vers tous les mouvements passant par SWIFT, quelque soient les pays de départ ou d’arrivée[1]. Tout ceci ayant été fait sans la moindre information à l’U.E., sans parler d’une discussion, on s’alarme en Europe des possibilités d’espionnage économique et accessoirement d’atteinte à la protection des données personnelles. Ce qui nous intéresse dans cette affaire, c’est que la seule institution au monde à avoir une connaissance complète de tous les mouvements de fonds vers les paradis fiscaux, c’est SWIFT. En effet, on trouve dans le rapport annuel de SWIFT[2] le nombre de banques et d’institutions financières avec lesquels SWIFT correspond et le nombre de message envoyés et reçus, par exemple :
Banq. Inst. Env. Reçus[3] Popul.[4] Reçus/Popul.
Lichtenstein 5 13 1114 2312 0.034 68
France 46 250 166k 171k 64.058 2.7

On voit ce qui caractérise un paradis fiscal : il a une banque ou établissement financier pour 1890 habitants (en France 1 pour 216000), et il fait 68 virements internationaux par habitant et par an (France 2.7).
Ces données étant publiques, et leur interprétation assez claire, l’U.E. ne devrait pas avoir de difficulté à obtenir de SWIFT, société de droit belge, les informations que la CIA a obtenues. Les sociétés Clearstream et Euroclear, principales chambres de compensations internationales, et concentrant à ce titre toutes les informations nécessaires aux transactions avec les paradis fiscaux qui ne sont pas gérées par SWIFT (opérations sur titres en particulier), et dont on observe qu’elles sont représentées au conseil d’administration de SWIFT, devraient être aussi interrogées sur les renseignements qu’elles communiquent probablement aussi à la CIA, et dont l’U.E. devrait exiger la communication.
A partir de ces informations, la lutte contre les paradis fiscaux prendrait une nouvelle tournure.
[1] http://www.cnil.fr/index.php?id=2231
[2] http://www.swift.com/

[3] Banques, Institutions financières, Messages envoyés en milliers, Messages reçus en milliers
[4] en millions