23.4.09

Les 100 jours d’Obama en économie

Un ancien ministre du travail américain, professeur à Berkeley, partisan confirmé de l’administration actuelle, porte un jugement intéressant sur l’action d’Obama[1].

Il note A la politique budgétaire (qui ne perd le A+ qu’en raison des prévisions économiques beaucoup trop optimistes), B le stimulus qu’il trouve bon mais insuffisant, et F le sauvetage des banques ; l’ensemble recevant la note C+. Cette note, selon l’auteur, n’est pas franchement mauvaise si on considère l’ampleur des problèmes dont Obama a hérité, mais loin d’être assez bonne pour la même raison.

Nous avons plusieurs raisons, nous autres Européens, pour suivre le Président des États-unis, son action, et l’opinion publique américaine (y compris celle de l’intelligentsia) sur cette action ; en effet, non seulement l’état de l’économie européenne pèse sur celle du monde, mais surtout le redressement de la finance américaine et la correction de ses erreurs, sont aussi nébuleux qu’au premier jour de la crise.

Nous allons donc examiner les critiques formulées par le professeur, et y joindre nos soucis.
Tout d’abord, il juge que le sauvetage des banques a échoué bien que les contribuables aient déversé 600 milliards $ ; en effet les crédits accordés par les banques ont diminué depuis cinq mois, les dirigeants continuent de se verser des rémunérations princières, leurs actifs toxiques augmentent, et les bilans des banques continuent d’être truqués. En outre il est question de convertir les fonds du sauvetage en actions, ce qui expose les contribuables à des pertes encore plus grandes.

A ce tableau désastreux, il faut ajouter le refus intraitable des anglo-saxons en général, mais particulièrement du monde financier américain, de renverser le mouvement de dérégulation qui est pourtant la cause primaire de la crise. Ce refus s’est manifesté lors de la réunion du G20, qui n’a pris aucune mesure autoritaire concernant la régulation ; il s’est observé à de nombreuses reprises aux États-unis, aussi bien dans la conception du sauvetage que dans les réactions du puissant milieu financier sur les rémunérations et les bonus, sans parler, de la présence, dans l’administration, de représentants de Wall Street.

Tout ceci est fort inquiétant.

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[1] http://robertreich.blogspot.com/2009/04/report-card-on-obomanomics-approaching.html

20.4.09

Rétablir (ou restaurer) la confiance ?

Restaurer ou rétablir ? Les deux se dit ou se disent (comme disait Vaugelas), mais encore ?
On restaure ce qui s’est dégradé mais qui mérite encore d’être réparé ; on rétablit ce qui a chu, a été perdu, a disparu. Étant donné la gravité du mal, ne pouvant restaurer ce qui a disparu, nous opterons pour rétablir.

Ceci posé, quid de cet avis unanime, ou presque : pour sortir de la crise, il suffirait de rétablir la confiance. Remarquez le point après confiance. Il ne s’agit pas de rétablir la confiance en quelque chose ou en quelqu’un, mais la confiance tout court, à l’état brut, envers l’humanité tout entière, envers l’univers si besoin est, envers le gouvernement, s’il le faut, ou envers le banquier le plus dérégulé, pourquoi pas ?

C’est vrai que pour le gouvernement un électeur confiant qui gobe toutes les promesses, voire les simples déclarations, cela rend le dévouement quotidien à la cause publique infiniment plus facile, et même agréable ; et pour le banquier, un épargnant confiant qui remercie avec une émotion sincère quand on lui propose quelques titres Natixis à 18€[1] pour rendre ses économies plus productives, cela fait d’un labeur ordinaire un acte philanthropique digne d’admiration.

En effet, que deviendrait le gouvernement s’il fallait, chaque fois qu’un micro se présente, expliquer pourquoi la promesse faite le jour JJ du mois de MM de l’an AAAA, n’a, aujourd’hui, le jour JJ’ du mois de MM’ de l’an AAAA’, connu aucun commencement ni d’exécution, ni même d’étude (sans d’ailleurs que cela signifie, aussi peu que ce soit, la moindre annulation du projet, ni sa réduction, ni son report lointain, ni que cela interdise son élévation, lors de la prochaine élection, au rang de promesse officielle) ?

Que deviendrait aussi le banquier qui devrait expliquer à son client venant de constater sa perte de plus de 90% sur Natixis, qu’il lui avait conseillé ce placement uniquement sur ordre de sa Direction et parce qu’il touchait une commission sympathique sur chaque action placée (une banque ne vend pas, elle place de titres), mais qu’il n’avait pas la moindre idée, ni hier ni aujourd’hui, sur la valeur des titres Natixis en tant que placement, ni sur le terme auquel il serait optimum de les envisager ?

On voit que la confiance est aussi nécessaire au gouvernent qu’aux banques ; elle fait gagner, aux gouvernants et aux banquiers, un temps précieux ; elle évite aussi aux électeurs et aux clients des banques de perdre des illusions encore plus précieuses.

Le seul problème de la confiance à l’état brut, c’est qu’elle constitue la matière première essentielle des grands escrocs, le Ponzi et autres Madoff, qui n’existent que par elle. Elle est donc absolument contraire à l’idéal démocratique que Marc Sangnier concevait comme « le régime politique qui tend à porter au maximum la conscience et la responsabilité de chacun ».

La confiance à l’état brut consiste à laisser la décision à d’autres, donc en renonçant 1. à prendre connaissance de ce qui motive la décision (démission de la conscience) et 2. à partager la responsabilité de ses conséquences. Mauvais choix, s’il en est.

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[1] Elles vaudront dis fois mois deux ans après

17.4.09

Réformer le système monétaire international

Le 26 mars 2009, le Gouverneur de la Banque du Peuple de Chine, Zhou Xiaochuan, a prononcé un discours intéressant, et peut-être important, sur le système monétaire international ; les commentaires qui en ont été faits jusqu’à maintenant sont restés à la surface de cette difficile question. Voici donc la traduction intégrale du discours.[1] -----------------------------------------
Pour la stabilité financière et économique, changer le caractère pro-cyclique du Système Monétaire International

Le problème

L’explosion de la crise actuelle et son débordement sur le monde nous a confrontés à une question posée depuis longtemps mais encore sans réponse, à savoir, de quelle sorte de monnaie de réserve internationale avons-nous besoin pour assurer la stabilité financière globale et faciliter la croissance économique globale, ce qui était l’un des buts recherché lors de la création du F.M.I. ? Il y a eu différents arrangements pour tenter de trouver une solution, y compris la référence à l’argent, la référence à l’or, la référence au change or et le système de Bretton Woods. Cependant, la crise financière actuelle démontre que le problème est loin d’être résolu, et s’est même aggravé à cause des faiblesses du système monétaire international actuel. Théoriquement, une monnaie de réserve internationale doit d’abord être ancrée sur un repère stable et émise selon un ensemble de règles claires pour garantir sa fourniture méthodique ; deuxièmement, sa fourniture doit être assez souple pour permettre de l’ajuster opportunément en fonction des changement de la demande ; troisièmement, de tels ajustements ne doivent pas dépendre des conditions économiques et des intérêts souverains d’un seul pays. L’acceptation de monnaies nationales basées sur le crédit comme monnaies de réserve internationales majeures, comme c’est le cas dans le système actuel, est un cas spécialement rare dans l’histoire. La crise demande une réforme créative du système monétaire international pour une monnaie de réserve internationale avec une valeur stable, une émission basée sur des règles et une fourniture organisée, afin d’atteindre l’objectif d’une sauvegarde de la stabilité économique et financière globale.


Les inconvénients du système actuel

I. Le déclenchement de la crise et son extension au monde entier reflète les vulnérabilités et les risques systémiques inhérents au système monétaire international actuel. Les pays émettant des monnaies de réserve sont constamment confrontés au dilemme d’avoir à atteindre les objectifs de leur politique monétaire domestique et de satisfaire la demande des autres pays en monnaie de réserve. D’un côté les autorités monétaires ne peuvent se concentrer simplement sur les objectifs domestiques sans exercer leurs responsabilités internationales, et de l’autre elles ne peuvent poursuivre en même temps des objectifs domestiques et internationaux différents. Elles peuvent soit échouer à satisfaire la demande d’une économie globale en expansion pour la liquidité quand elles tentent d’alléger les pressions inflationnistes chez eux, soit créer un excès de liquidité dans les marchés globaux en stimulant exagérément la demande domestique. Le Dilemme Triffin, c'est-à-dire le fait que les pays émettant des monnaies de réserve ne peuvent maintenir leur valeur tout en fournissant de la liquidité au monde, existe encore. Quand une monnaie nationale est utilisée pour fixer les prix des matières premières, faire les paiements commerciaux et est globalement adoptée comme monnaie de réserve, les efforts des autorités monétaires émettant une telle monnaie pour résoudre ses déséquilibres économiques en ajustant son taux de change seront faits en vain, car sa monnaie sert de référence à beaucoup d’autres monnaies. Bien qu’elle bénéficie d’une monnaie de réserve largement acceptée, la globalisation souffre aussi des défauts de ce système. La fréquence et l’intensité croissante des crises financières suivant l’effondrement du système de Bretton Woods suggèrent que les coûts d’un tel système ont peut-être excédé ses bénéfices. Le prix est en train d’augmenter, non seulement pour les utilisateurs, mais aussi pour les émetteurs des monnaies de réserve. Bien que les crises puissent ne pas être nécessairement un résultat souhaité par les autorités émettrices, elles sont une inévitable conséquence des défauts institutionnels.


Ce qu’il faudrait faire

II. L’objectif souhaitable d’une réforme du système monétaire international est donc de créer une monnaie de réserve internationale déconnectée des nations et capable de rester stable sur le long terme, éliminant ainsi les déficiences résultant de l’usage de monnaies nationales basées sur le crédit. 1. Bien que la monnaie de réserve super-souveraine ait été proposée depuis longtemps, aucun progrès substantiel n’a été encore accompli. En 1940, Keynes a déjà proposé d’introduire une unité monétaire internationale nommée « Bancor », basée sur la valeur de trente matières premières. Malheureusement, la proposition ne fut pas acceptée. L’écroulement du système de Bretton Woods, […], indique que l’approche keynésienne était peut-être mieux inspirée. Le Fonds Monétaire International (FMI) créa les Droits de Tirage Spéciaux (DTS) en 1969, quand les défauts du système de Bretton Woods se révélèrent, afin d’atténuer les risques causés par les monnaies de réserve souveraines. Cependant, le rôle des DTS n’a pas joué comme il aurait du en raison de son allocation limitée et de ses usages restreints. Néanmoins il indique la voie d’une réforme du système monétaire international. 2. Une monnaie de réserve super-souveraine n’élimine pas seulement le risque inhérent à la monnaie souveraine basée sur le crédit, mais il rend aussi possible de gérer la liquidité globale. Une monnaie de réserve super-souveraine gérée par une institution globale peut servir à la fois à créer et à contrôler la liquidité globale. Et quand la monnaie d’un pays n’est plus utilisé comme étalon de mesure du commerce global et comme la référence des autres monnaies, la politique de taux de change du pays peut être beaucoup plus efficace pour corriger les déséquilibres de l’économie. Cela réduirait de manière significative les risques d’une future crise et renforcerait la capacité de la gérer.


Les conditions d’une réforme réussie

III. La réforme devrait être guidée par une vision ambitieuse et commencer par des réalisations précises. Elle devrait être un processus progressif bénéfique pour tous les pays. Le rétablissement d’une nouvelle monnaie de réserve largement acceptée avec un étalon de valorisation stable peut prendre beaucoup de temps. La création d’une unité monétaire internationale, basée sur une proposition keynésienne, est une initiative considérable qui requiert d’extraordinaires qualités de vision et de courage politiques. Dans le court terme, la communauté internationale, particulièrement le FMI, devraient au moins reconnaître et affronter les risques résultants du système actuel, et procéder régulièrement à son suivi et à son évaluation, et émettre des alarmes anticipées. Une attention particulière devrait être donnée à l’accroissement du rôle des DTS. Les DTS ont les caractéristiques et la capacité de jouer le rôle d’une monnaie de réserve super-souveraine. De plus, une augmentation de l’allocation aiderait le Fonds à résoudre son problème de liquidités et les difficultés de la réforme de la représentation et de la répartition des voix. En conséquence, des efforts devraient être faits pour faire progresser l’allocation des DTS. Cela exigera une coopération politique entre les pays membres. En particulier, le Quatrième Amendement des Statuts[2] et la résolution qui en découle sur l’allocation des DTS proposé en 1997 devraient être approuvés aussitôt que possible de telle sorte que les membres qui ont rejoint le Fonds après 1981 puisse aussi bénéficier des avantages des DTS. Sur cette base, il y a lieu de considérer une nouvelle augmentation de l’allocation de DTS. La portée de l’utilisation des DTS devrait être augmentée, afin de leur permettre de satisfaire pleinement la demande des pays membres en monnaie de réserve. - Établir un système de règlement entre les DTS et les autres monnaies. En conséquence, les DTS qui sont actuellement seulement utilisés entre les gouvernements et les institutions internationales, pourraient devenir un moyen de paiement du commerce international et des transactions financières largement accepté. - Promouvoir activement l’usage des DTS dans le commerce international, pour la fixation du cours des matières premières, des placements et la tenue des comptabilités. Cela aidera à renforcer le rôle des DTS, et réduira efficacement les fluctuations de prix des actifs valorisés en monnaies nationales et les risques associés. - Créer des actifs financiers libellés en DTS pour accroître leur attrait. L’introduction de titres libellés en DTS, qui est étudiée par le FMI, sera un bon début. - Améliorer encore la valorisation et l’allocation des DTS. Le panier de monnaies formant la base de la valorisation des DTS devrait être étendue et inclure les monnaies de toutes les principales économies, et le PIB peut aussi être inclus comme lest. L’allocation de DTS peut évoluer d’un système basé uniquement sur un calcul à un système soutenu par des actifs réels, tels que la mise en commun de réserves, pour développer davantage la confiance du marché dans leur valeur.


Les bienfaits attendus de la réforme IV. Confier une partie des réserves des pays membres à la gestion centrale du FMI ne renforcera pas seulement la capacité de la communauté internationale de mettre fin à la crise et de stabiliser le système monétaire et financier international, mais aussi de renforcer de manière importante le rôle des DTS. 1. Comparé avec la gestion séparée des réserves par chaque pays, la gestion centralisée d’une partie des réserves globales par une institution internationale digne de confiance, avec un rendement raisonnable pour encourager la participation, sera plus efficace pour décourager la spéculation et stabiliser les marchés financiers. Les pays participants peuvent aussi conserver quelques réserves pour leur développement propre et leur croissance économique. Avec une participation universelle, le mandat unique de maintenir la stabilité financière, et en tant que « superviseur » des politiques macroéconomiques des pays membres, le FMI, doté de son expertise, possède un avantage naturel pour agir comme gestionnaire des réserves de ses membres. 2. La gestion centralisée des réserves de ses membres par le Fonds sera une mesure efficace pour promouvoir un rôle accru des DTS comme monnaie de réserve. Pour y parvenir, le FMI constituer un fonds ouvert libellé en DTS proposé au marché, permettant la souscription et le remboursement dans les monnaies de réserve existantes par les différents investisseurs qui pourraient être souhaités. Cet arrangement ne promouvra pas seulement le développement des actifs libellés en DTS, mais permettra partiellement aussi la gestion de la liquidité sous la forme des monnaies de réserve existantes. Cela peut même préparer l’augmentation de l’allocation de DTS afin de remplacer graduellement les monnaies de réserve actuelles.

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[1] Les inter titres en gras sont du traducteur


[2] Qu'est-ce que le Quatrième Amendement?
Le Quatrième Amendement attribue une allocation spéciale aux membres entrés après la précédente allocation. Il est entré en vigueur le 10 Août 2009 quand 112 membres du FMI représentant 85% des droits de vote l'eurent accepté (le 5 Août le Etats-unis avaient aussi soutenu l'Amendement).
Ainsi, cet Amendement qui avait été proposé en 1997, comme le rappelle Zhou Xiaochuan dans son discours, a été finalement voté cinq mois après que l'urgence de le faire ait été fermement exprimée par le Gouverneur de la Banque de Chine. Coïncidence ...













3.4.09

Wall Street 1 – Europe 0

Ce que l’on pouvait craindre est arrivé, les Anglo-Saxons ont formellement refusé la création d’une institution mondiale de régulation financière ; les perfectionnements et élargissements du Forum de Stabilité Financière ne le font pas entrer dans la catégorie des institutions internationale détentrice de pouvoirs par traité ; rebaptisé Conseil, il reste un club d’étude et de discussion dépourvu d’autorité et dont les nations appliqueront, ou n’appliqueront pas, selon leur bon vouloir, les recommandations ; et nous savons déjà que les banquiers de Wall-Street ne les appliqueront pas, sinon que pouvaient-ils craindre de mesures visant simplement à empêcher de nouvelles pertes catastrophiques ? Les États-unis n’ont pas encore compris qu’un retour de la croissance qui serait dû aux libertés laissées à leur finance ne pourra être porteur que de futures déceptions. Ils comprendront sans doute la prochaine fois, … peut-être …

Mais il ne faut pas que cela empêche l’Eurozone de s’organiser pour éviter qu’à l’avenir les débordements de l’innovation financière londonienne et new-yorkaise viennent siphonner l’épargne et le capital européens. Par un heureux hasard, les activités financières ont échappé à l’autorité de l’Organisation Mondiale du Commerce, il nous est donc certainement possible d’adapter la régulation et la supervision bancaire de la zone Euro aux dangereuses conditions qui vont continuer de régner sur la finance mondialisée.

Une première mesure à prendre d’urgence serait d’instaurer une nouvelle catégorie d’établissements financiers autorisés à faire toutes opérations pour leur compte propre (proprietary account ou own account), mais ne bénéficiant ni de la garantie de l’État ni du financement de la banque centrale ; les banques exerçant toutes les activités financières exclusivement pour des clients continueraient de bénéficier du régime actuel, en cessant, s’il y a lieu, toute activité pour compte propre. En d’autres termes, la banque est une activité particulière, jouissant de la garantie de l’État et du financement de la banque centrale, pour accomplir un service d’intérêt général indispensable à l’ensemble de l’économie, toutes choses incompatibles avec les activité de marché pour compte propre.

Cette mesure fort simple purifierait les activités financières en éliminant définitivement l’aléa moral, et son cousin l’aléa cupidesque, ce qui réduirait probablement la séduction des activités de marché pour compte propre.