16.2.16

Taux d'intérêt négatif


lundi 15 février 2016
10:52
The New York Times - Neil Irwin, le 12 février 2016

Quand vous prêtez de l'argent, les emprunteurs doivent habituellement vos rémunérer.
Cela a été une hypothèse fondamentale tout au long des siècles de l'histoire financière. Mais cette hypothèse a été ignorée de plus en plus par quelques banques centrales et marchés de valeurs à revenus fixes.
Il y a dix ans, les taux d'intérêts négatifs étaient une curiosité dont les économistes discutaient comme d'un jeu de société. Il y a deux ans, cela commença à apparaître come une mesure non conventionnelle dans quelques petit pays. Désormais, c'est devenu une politique reconnue des plus puissantes banques centrales, y compris la Banque Centrale Européenne et la Banque du Japon.
Jeudi, la banque centrale de Suède a abaissé son taux de prêt aux banques à -0,5% au lieu de -0,35%, et déclara qu'il pourrait encore être réduit ; les titres des banques européennes baissèrent en partie parce que les investisseurs craignaient ce que les taux négatifs pourraient causer aux bénéfices des banques. La Présidente de la Réserve Fédérale, Janet Yellen, reconnut, en témoignant au Congrès mercredi et jeudi que la banque centrale Américaine était en train d'étudier cette politique, mais elle souligna qu'un tel changement n'était pas envisagé.
Mais comme des taux négatifs - par lesquels les déposants paient pour garder de l'argent dans un compte en banque - se répandent, on découvre beaucoup d'inconnues sur ce que cela signifie pour la finance, pour l'économie et pour la définition de la monnaie.
Voilà donc quelques unes des principales questions, et, quand nous les avons, les réponses.

Comment fonctionnent les taux négatifs ?

Ca dépend. Dans des objectifs de taux d'intérêt fixés par les banques centrales comme la B.C.E. et la banque de Suède, elles fixent un objectif de taux pour les banques, et les banques le répercutent à leurs clients. La B.C.E., par exemple, a actuellement un taux négatif de 0.3%, ce qui signifie que lorsque les banques déposent de l'argent à la banque centrale pour la nuit, elle paient pour le service rendu.
Les banques ont différentes manières de mettre à la charge des déposants les taux négatifs, souvent qualifiés de rémunération pour la garde de l'argent sur le compte, ce qu'est en vérité l'autre nom des taux négatifs.
Le marché des titres à revenu fixe reflète aussi ces taux négatifs, y compris pour les dettes à long terme de l'Etat. Par exemple, si vous achetiez un effet de l'Etat suisse à deux ans jeudi, vous auriez dû payer un prix qui comprenait un rendement négatif de 1.12%. Même les bonds suisses à 10 ans ont un intérêt négatif, ce qui est le signe que le marché s'attend à ce que les taux en dessous de zéro persisteront en Suisse pendant de nombreuses années.
Généralement, les sociétés qui empruntent des capitaux sont considérées comme plus risquées que les Etats, aussi doivent-elles payer des taux d'intérêts plus élevés. En conséquence, des taux négatifs d'emprunts de sociétés sont-ils encore rares. Mais cela est arrivé, y compris pour des titres émis par le géant suisse de l'alimentation, Nestlé.

Mais les gens n'auraient-ils pas avantage à retirer leurs fonds plutôt que de payer le dépôt à leur banque ou d'acheter un titre d'Etat qui leur remboursera moins que leur versement ?

C'est ce que vous penseriez, n'est-ce pas? C'est exactement pourquoi les économistes ont pensé longtemps que les taux d'intérêt négatifs étaient impossibles. Cela contribue à expliquer pourquoi les banques centrales optèrent d'abord pour d'autres instruments, y compris l'assouplissement quantitatif (quantitative easing), quand elles constatèrent un besoin d'assouplir la politique monétaire en dépit de taux d'intérêt qui étaient déjà proche de zéro.
Mais il semble que le confort de laisser l'argent sur un compte en banque vaut un petit taux d'intérêt négatif ou un honoraire pour la plupart des consommateurs et des entreprises, au moins seulement si le taux en vigueur est légèrement négatif. Stocker et protéger des liquidité peut être plus coûteux qu'une petite dépense bancaire.
Quand le début des expériences en Suisse et Suède ne résulta pas en retraits massifs du système bancaire, les banques centrales plus importantes assoiffées d'argent plus facile se dirigèrent prudemment dans la même direction. Elles s'arrêteront quand soit leurs économies commenceront à croître, soit elles verront des preuves plus concrètes que les taux négatifs font plus de mal que de bien.

Comment est-ce supposé aider l'économie ?

De la même manière qu'il a toujours été supposé aider l'économie que la banque centrale réduise les taux. Des taux plus bas encourage l'investissement dans les affaires et les dépenses de consommation ; et accroît la valeur des actions et d'autres actifs risqués ; et diminue la valeur de la monnaie du pays, rendant ainsi les exportateurs plus compétitifs ; et suscite des perspectives d'augmentation de l'inflation à venir, ce qui conduit les gens à dépenser maintenant.
Nous avons des dizaines d'années d'expérience avec des banques centrales essayant de gérer l'économie
 en réduisant les taux des 2% venant de 3%, par exemple, quand il y a un ralentissement économique. Le passage aux politiques de taux négatifs est, au moins par hypothèse, la même chose, mais avec un point de départ déjà autour de zéro.

Donc ça marche ?

C'est encore difficile à dire avec certitude. Il semble que cela a au moins pour effet de baisser la valeur de la monnaie, ce qui rend les industries exportatrices très satisfaites. Il est moins clair que cela puisse aider à créer une croissance économique soutenue, particulièrement quand les inconvénients difficiles à évaluer apparaissent.

Quels sont ces inconvénients ?

Le système financier global est construit sur une estimation de taux d'intérêts supérieurs à zéro. Aller en dessous de zéro peut causer des dommages à l'architecture même par laquelle l'argent et le crédit pénètrent l'économie, et ainsi bloquent la croissance.
Le banques pourraient cesser d'être des affaires viables, éliminant ainsi une voie essentielle conduisant l'argent des épargnants vers les investissements productifs. Les marchés monétaires de fonds mutuels, largement utilisés aux USA, pourraient très bien cesser d'exister. Les compagnies d'assurances et les fonds de pension pourraient avoir à affronter des tensions majeurs.
Hervé Hannoun (DGA de la Banque des Règlements Internationaux) a même prétendu que cela pourrait, au fil du temps, encourager l'utilisation de monnaies virtuelles alternatives, affaiblissant ainsi les fondations du système financier tel que nous le connaissons aujourd'hui.

Est-ce que la Réserve Fédérale va faire ça aux Etats-Unis ?

Janet Yellen ne le pense pas. Mais, au cours des deux jours de son témoignage au Congrès, elle ne l'a pas éliminé.
La raison principale en est que l'économie des USA, et particulièrement son marché du travail, semble être en meilleure forme que celle de nombreux autres autour du globe. Aussi, la Fed suppose qu'elle sera en mode augmentation des taux cette année (à quelle vitesse reste une question ouverte). Mais, même si l'économie tournait mal, il n'y a pas de certitude que la Fed se lancerait dans les taux négatifs.
Il y a même une question sur leur licéité. Il n'est pas clair que le langage de la Réserve Fédérale permette des taux de banque négatifs. Ms.Yellen déclara cette semaine que la légalité des taux négatifs "reste une question que nous avons encore besoin de creuser plus profondément".
Elle dit aussi que "ce n'est pas juste une question de légalité"
"C'est aussi la question de savoir si la plomberie du système de paiement du pays le permet" dit-elle. " La structure institutionnelle de nos marchés monétaires est elle compatible ? Nous ne l'avons pas déterminé."
Les marchés financiers n'affichent pas des chiffres significatifs sur les taux négatifs aux Etats-Unis. Néanmoins, voulez-vous une petite indication que les taux négatifs ne pourront pas être éliminés ? Dans son stress test annuel des grandes banques, la Fed leur demanda de chiffrer ce qui arriverait à leurs finances dans un scénario "très dramatique" qui comprendrait une forte augmentation du chômage et un taux négatif de 0.5% sur les effets du Trésor à court terme -- en d'autres termes, que vous attendez-vous à constater s'il y avait une récession et si la Fed réduisait les taux bien en-dessous de zéro.
Ms.Yellen précisa que le taux des effets du Trésor pouvaient aller en terrain négatif même en l'absence de glissement de la politique de la Fed, comme c'est arrivé quelques fois dans le passé.

Donc, quels sont les évènements pénibles qui pourraient arriver dans un monde où les taux négatifs deviennent courants ?

Les politiques en Europe et au Japon sont encore relativement nouvelles et impliquent des taux seulement légèrement inférieurs à zéro. Mais si les politiques deviennent durables, ou si les taux négatifs descendent beaucoup plus bas, il y a un tas de soucis qui pourraient affecter les transactions quotidiennes.
Par exemple, est-ce que les gens commenceraient à payer d'avance un an d'abonnement au telephone pour éviter d'avoir de l'argent bloqué dans un compte en banque perdant de l'argent ? Et qu'en irait-il de l'impôt foncier ? Est-ce que les entreprises et l'Etat institueraient de nouvelles politiques interdisant aux gens de payer leurs factures trop tôt ?

Ou encore : Beaucoup de transactions commerciales sont assorties de crédit à court terme -- par exemple, une entreprise qui bénéficie d'un délai de 60 jours pour payer ses fournisseurs se verrait interdire de payer avant les 60 jours.

Traduit par AB

7.2.16

Que sont les marchés financiers devenus ?

Dans "marché financier" il y a marché, un terme rassurant car le concept de marché émet une signification paisible, de lieu public, détenu collectivement, servant à fixer les prix et à permettre les échanges sur la base d'informations complètes et réglementées.
Mais le XXIème siècle  voulut "moderniser" tout cela, et privatiser  ce qui était collectif, et assouplir (ou supprimer) ce qui était obligatoire (la transparence des opérations et autres règles imposées aux professionnels).

Cela nous avait amenés à poser la question "Qu'entend-on par excès de régulation", dans notre article du 15/11/2008, où nous citions Michael Lewis pour un exemple mentionné dans "The end of Wall's Street Boom".

Et Michael Lewis poursuit son chemin avec la publication de Flash Boys - Au cœur du trading haute fréquence - (Edition du sous-sol - Le Seuil).

Entre l'été 2009 et décembre 2013, une bande d'experts analyse l'état dans lequel est arrivé le système boursier américain, à savoir sa soumission totale aux grandes banques pour leur permettre d'exploiter impunément les ordres des investisseurs, et ils décident de créer leur propre gestion de titres respectant les règles normales de traitement boursier. Le récit décrit en détail non seulement le fonctionnement du trading haute fréquence mais explicite les modes de fonctionnement de cette technique et l'extension de sa prédation ; il trace aussi le portrait de ces hommes que leur carrière a conduit à participer à la création de cette scandaleuse machine, et qui décident de la détruire.
Indispensable pour comprendre tous les aspects du trading haute fréquence.

5.2.16

Changement de sujet

Pour sortir des aventures de la bureaucratie et de la finance, voici une pensée venant d'une historienne américaine ayant passé pas mal de temps en France pour ses recherches :

Pour nous, la France est une promesse, tenue, de séduction de l'esprit et des sens.

Que ceux que cela n'émeut pas retournent voir Kerviel ...

2.2.16

Affaire Kerviel - Le dénouement

La décision de Bouton de clôturer la position dans des conditions de marché extrêmement volatiles fut non seulement immédiate (Bouton déclara ensuite qu'il ne lui avait fallu pas plus d'un quart d'heure pour être convaincu de l'absolue nécessité de le faire), mais aussi exécutée extrêmement vite, la position de 50 milliards étant purgée en seulement trois jours.
Puis le Conseil d'administration se réunit à nouveau le 23 Janvier pour être informé de la situation et de ses conséquences. Cela conduisit à la décision de lancer une émission de 5.5 milliards € de titres. Trois autres réunions s'ensuivirent, et à celle du 30 Janvier le Conseil créa un Comité Spécial doté des pouvoirs les plus étendus pour s'assurer que :
- les causes et l'étendue des pertes de trading étaient complètement identifiées ;
- pour éviter de nouveaux incidents de même nature, des mesures de protection étaient instituées ;
- l'information émise par la banque décrivait les découvertes de l'enquête avec précision ;
- la situation était contrôlée d'une manière protégeant les intérêts de la compagnie, des actionnaires, des clients et du personnel.
Dans ce but, le Comité Spécial demanda l'intervention des services d'audit de PWC (PricewaterhouseCoopers).
Le 21 Février, le Comité Spécial soumit son rapport d'étape au Conseil d'Administration dont voici les premières conclusions.
- La responsabilité personnelle de Kerviel est en cause essentiellement en raison du dépassement des limites attribuées à son poste et des opérations fictives visant à les dissimuler.
- Mais cela ne suffit pas à disculper la SG de la possibilité qu'à eu Kerviel de poursuivre ses manœuvres si longtemps avant d'être découvert.
- Le fait que la fraude ne fut pas décelée pourrait s'expliquer par l'efficacité et la variété des techniques utilisées, ou le fait que les traders ne pratiquent as systématiquement des vérifications en profondeur. Et surtout par l'absence de certains contrôles.
- Cependant, le talent de Kerviel à masquer les opérations fictives, ne doit pas dissimuler l'inefficacité manifeste des différents services de contrôle interne ou externe de la SG. Les inspecteurs de la SG considéraient que les contrôles organisés par les services de support et de contrôle avaient été appliqués en respectant les procédures établies, pourtant ils ne purent identifier la fraude avant le 18 Janvier 2008.
En d'autres termes, l'affaire Kerviel n'atteint son ampleur finale qu'à cause de la multitude de dysfonctionnements de ses systèmes de contrôle interne.
Outre ces défaillances du contrôle de risque - qui fut la cause des retards dans la découverte des positions frauduleuses - des défaillances de communication furent aussi commises, défaillances qui pouvaient être constatées, dans un cas particulier, au dernier stade de l'affaire, à savoir lors de la crise de direction.
Le Comité Spécial découvrit aussi qu'une proportion non négligeable des dysfonctionnements exploités par Kerviel pour dissimuler ses opérations pouvait être attribuée au manque d'efficacité de la circulation des informations dans la hiérarchie de la SG, en particulier vers les services de contrôle.

Par contre, il apparaît que la SG a correctement respecté ses obligations d'information envers la Banque de France et la Commission Bancaire, de même qu'envers le public et les marchés.

J'arrête ici la description de l'affaire Kerviel telle qu'elle ressort de la monumentale étude du Professeur Eric Pichet : Kerviel n'a pu tricher autant que parce que la gouvernance de la SG fonctionnait très mal, ce qui n'était pas la faute de Kerviel.