31.1.16

Affaire Kerviel - Autopsie d'une catastrophe

La position nette de Kerviel au 31 décembre 2007 ne faisait pas apparaître une perte de 4.9 milliards. Sentant venir le drame, Kerviel fit tout ce qu'il put alors pour dissimuler la situation en prenant de nouvelles positions à terme pour 50 milliards sur la bourse à terme de Francfort. Les conséquences de ces nouvelles positions créées en 2008 auraient pu ne pas apparaître dans les comptes de la SG arrêtés au 31 décembre 2007 ; mais la SG qualifia la liquidation des positions de Kerviel dénouées les 21 et 23 janvier 2008 d’événement exceptionnel survenu avant que les comptes de 2007 ne soient finalisés le 31 décembre, au motif qu'elle résultait de mécanismes qui avaient principalement agi dans le cours de l'exercice 2007 et continuèrent jusqu'à leur découverte en janvier 2008.

C'est le Vendredi 18 janvier 2008 que le service de contrôle de la SG découvrit qu'une opération anormalement importante avait été enregistrée. Cela attira l'attention des auditeurs internes qui découvrirent la tricherie. Les supérieurs directs du trader contactèrent alors la haute direction de la SG, et une équipe de vérification interne fut constituée. Le Samedi 19 janvier, la Direction de SG confirma la nature fictive de nombreuses opérations.
Au début de l'après-midi du Dimanche 20 janvier 2008, une réunion ordinaire du Comité des Résultats de la SG était prêt à examiner les résultats 2007 de la banque et déterminer toute provision qui pourraient nécessiter l'examen du Comité de Direction ; elle avait été planifiée depuis longtemps ce jour-là à 18h30. Ce fut à cet instant que le Président de la SG informa le Comité de l'affaire Kerviel. Bouton expliqua : "Il n'est pas possible de communiquer les résultats estimés pour 2007 en raison de la découverte de problèmes relatifs à certaines activités de marché qui pourraient résulter en pertes substantielles".

Confirmé dans ses fonctions (après avoir proposé sa démission), pour diriger la crise, Bouton appliqua immédiatement la décision qu'il avait annoncée plus tôt dans l'après-midi de liquider la position de Kerviel aussi vite que possible. Et c'est ce qui arriva le lundi 21 et le mercredi 23 janvier.

30.1.16

Au sujet de l'affaire Kerviel - Suite

"La plus forte perte de trading de l’histoire des marchés financiers a frappé, en janvier 2008, la Société Générale (SG) , établissement bancaire pourtant considéré comme un pionnier de la gestion des produits dérivés et de la maîtrise des risques de marché. La généalogie de cette perte, tout comme la manière dont la banque, via son Président M. Bouton et son Conseil d’administration (CA), a géré la situation sont riches d’enseignements de tous ordres. Nous ne nous intéressons ici qu’aux leçons à en retenir pour une meilleure gouvernance des grandes banques internationales cotées. Ces leçons – positives ou négatives d’ailleurs – sont de 3 ordres et concernent le mode de communication vis-à-vis des régulateurs, des marchés et des actionnaires ; l’organisation du contrôle interne et son rattachement direct au Conseil d’administration ; enfin l’organisation du Conseil d’administration et sa composition, notamment le rôle que devrait y jouer le comité de gestion des crises, qui gagnerait à acquérir un statut et des frontières mieux délimités au sein du Conseil d’administration." (Résumé de l'article d'Eric Pichet paru dans La revue française de Gouvernance d'Entreprise du 1er semestre 2008)
Cet article comporte des notes de bas de page sur la comptabilisation de la perte (note n°3), et sur ses conséquences fiscales (note n°4) d'une grande complexité ; IAS 1, IAS 10 et IAS 37 ne sont pas une lecture quotidienne pour tout le monde, non plus que les interprétations du Conseil d'Etat en matière de déductibilité des pertes imputables à des décisions anormales de la direction. Mais l'auteur est frappé par la mésaventure historique qui frappe la SG pour deux raisons : parce que la banque a toujours développé une expertise considérable dans le domaine des produits dérivés ; et aussi le fait que son Président, Daniel Bouton, devint célèbre en France comme auteur du rapport qui porte son nom et qui devint la référence de la bonne gouvernance des sociétés cotées.
Tout cela suffit à comprendre que des fonctionnaires de la police ou de la justice aient pu avoir parfois l'impression que la SG se payait leur tête.
Mais l'auteur ne se laisse pas interrompre aussi facilement, et il poursuit son étude sur la question vraiment importante : comment un trader peut-il réaliser des opérations frauduleuses de cette dimension pendant des mois, sans que quiconque (ni les auditeurs internes de la banque ni les enquêteurs des autorité de supervision), n'y mettent un terme. Et sur une seconde question : le management de cette crise - une fois que la taille du trou dans les comptes de la société a été découverte - respecte-il le code de conduite que les banques sont supposées appliquer dans leurs opérations avec les actionnaires, leurs clients et les autorités de supervision.

A suivre

20.1.16

Au sujet de l'affaire Kerviel

1. Lundi 18 janvier, lors de l'émission C'est à dire, Isabelle Horlans, journaliste et écrivaine, répond à Axel de Tarlé qui lui a demandé si Jérome Kerviel doit rembourser 4.5 milliards d'euros à la Société Générale :
"C'est impossible. C'est symbolique. La Société Générale a été coincée au niveau de la procédure. Elle devait demander un dédommagement au niveau de ses pertes. C'était obligatoire pour avoir la déduction fiscale. Elle était coincée. C'est vrai qu'il aurait été préférable de demander un euro symbolique. Toute l'opinion aurait compris."
Voilà une journaliste qui ne s'exprime pas très clairement ; faut-il comprendre que la nécessité de dissimuler la totalité des pertes bien réelles sous une déductibilité fiscale acrobatique, ne vise qu'à empêcher la publication d'un résultat officiel de la SG grandement diminué ? Et la condamnation de Kerviel serait une sorte de sauvetage de la direction de la SG au détriment d'un homme qu'il aurait été juste de ne condamner qu'à l'euro symbolique ?
Espérons que la "journaliste" clarifie son texte rapidement.

2. La SG a-t-elle vraiment perdu 4.9 Md sans s'être rendu compte de rien ? Difficile à croire s'il s'était agi d'affaires ordinaires relatives au commerce, à l'industrie, à la construction, mais nous sommes là devant une affaire de trading, c'est à dire de spéculation risquée. Si les traders sont très bien payés c'est parce qu'ils spéculent en permanence avec les capitaux de la banque ; et la banque les autorise individuellement à un certain volume d'engagement, volume qu'elle contrôle. Dans l'affaire Kerviel, elle l'accuse d'avoir fait des faux et le fait condamner sur cette base qui l'exonère de sa responsabilité de banque.
Mais la spéculation financière a une particularité sans laquelle elle ne pourrait pas exister : c'est l'obligation de couvrir à tout moment les risques financiers résultat des opérations engagées ; cela s'appelle l'appel de marge.
Exemple : un titre est coté à 100 et vous croyez qu'il va baisser ; vous en vendez 1000 à terme à 100
Si le cours baisse à 70 vous en achetez 1000 que vous livrerez à votre acheteur à terme. Bénéfice 30000.
Si le cours monte à 130 vous avez une perte potentielle de 30000 qu'il va falloir couvrir sans délai, c'est l'appel de marge.
Or les opérations de Kerviel ont été lourdement perdantes, ce qui implique que de gros appels de marge ont été demandés à la SG ; il s'agit là d'ordonnancer des transferts de capitaux, travail qui n'est pas fait par les traders, et qui est sous le contrôle non des service de trading, mais sous celui des services gérant les capitaux et les fonds de la banque. Le paiement d'un appel de marge important est forcément autorisé à un niveau élevé de la hiérarchie hors trading.
Les 4.9 Md représentent donc des fonds qui ont déjà été versés aux contreparties des opérations, ou sont à verser sans délai ; difficile de croire que de telles sorties de capitaux aient pu passer inaperçues.

17.1.16

Punir les traitres

Curieusement nous sommes en train de débattre des droits des Français coupable de trahison envers leurs concitoyens et leur pays, si la déchéance de la nationalité leur était appliquée.
Comme cette mesure ne pourrait pas être appliquée à ceux qui n'ont pas la double nationalité, on en déduit qu'elle frapperait injustement les autres, les mono-nationaux.
On entend aussi que cela offenserait gravement le droit du sol qui serait un caractère sacré de l'acquisition de la nationalité.
Et surtout elle serait inefficace, car on n'imagine pas un terroriste renonçant à faire exploser sa bombe au motif qu'il risquerait de perdre sa nationalité.

Evidemment, on peut répondre aux mono-nationaux qu'il leur suffit d'abandonner le terrorisme pour ne pas perdre le nationalité ; d'autre part, le droit du sol n'a jamais été conçu pour favoriser le terrorisme, c'est même plutôt le contraire ; enfin la finalité de la déchéance est simplement de montrer aux citoyens ordinaires que les traîtres ne pourront plus bénéficier de la protection de l'Etat Français, ce qui a vraiment un sens, en particulier de nos jours.

Mais cela laisse la question ouverte : comment punir les traîtres, ou plutôt peut-on punir les traîtres qui tomberaient entre nos mains ?

La solution US (Guantánamo) qui ne concernait pas des traîtres mais des soldats irréguliers (illégaux) qualifiés de terroristes semble ne pas avoir trouvé de solution juridique satisfaisante, même sa fermeture définitive après une quinzaine d'années ne cesse d'être repoussée.
Il serait bon de réfléchir à ce que nous devrions faire d'un traître arrêté après un attentat auquel il aurait survécu. Le code pénal prévoit pour le crime de haute trahison la détention criminelle à perpétuité ; cela serait sans doute un bon point de début.